ERNEST KATEMBO
vendredi 24 octobre 2014
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ERNEST KATEMBO: POUR UN DEVELOPPEMENT HUMAIN PAR LES CAPABILTES CH...: Pour un développement humain par les « capabilités » chez Amartya Sen For human development according to Amartya Sen’s capabilities ...
dimanche 27 juillet 2014
POUR UN DEVELOPPEMENT HUMAIN PAR LES CAPABILTES CHEZ AMARTYA SEN
Pour un développement humain par les « capabilités » chez Amartya SenFor human development according to Amartya Sen’s capabilities
INTRODUCTION GÉNÉRALE
1. ÉTAT
DE LA QUESTION
La
question du développement fait couler beaucoup d’encre aujourd’hui plus que
jamais. Autrefois elle était liée à la notion du bonheur entendu comme
satisfaction des désirs individuels ou collectifs. Déjà dans l’Éthique à Nicomaque, Aristote considère
le bonheur comme finalité ultime. Pour lui, ce n’est pas la richesse qui compte
mais le bien que celle-là procure. A nos jours, le débat sur le développement
prend en compte toutes les dimensions du bien-être à savoir la consommation, la
santé, l’éducation, le loisir, la participation, le lien social,
l’environnement, et la sécurité. C’est dans ce contexte qu’Amartya Sen pense
que les indices d’évaluation du progrès notamment le Produit Intérieur Brut[1] (PIB)
et le Produit National brut[2] (PNB)
sont insatisfaisants, étant donné qu’ils se fondent sur l’aspect économique du
revenu par habitant et non sur la qualité de vie que mènent les gens. Il
propose un nouvel indice, l’Indice du Développement Humain[3] (IDH),
qui prend en compte la qualité de vie des individus. Il fait revêtir le
développement d’un visage humain à travers son approche par les
« capabités ». Cette approche conçoit le développement comme liberté.
Celle-ci constitue le principe et la finalité du développement et non le revenu
comme le pensent les philosophes libéraux à l’instar de John Rawls. Beaucoup de
programmes et des projets se sont inspiré de cette nouvelle approche. D’où le
débat sur le développement soutenable qui garantit aux générations présentes et
futures l’amélioration des
« capabiltés » du bien-être social, économique et écologique pour
tous, à travers la recherche de
l’équité.
L’Organisation
des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture (UNESCO) a lancé,
dans sa stratégie à moyen terme pour 2002-2007, un programme interdisciplinaire
avec pour thème « Humaniser la mondialisation ».[4] Ce
programme visait de soutenir et de susciter les initiatives allant dans le sens
de la définition, la promotion et la diffusion dans la vie économique des
valeurs susceptibles de contribuer à l’humanisation de la mondialisation. En
plus, les différents rapports du Programme des Nations Unies pour le
Développement (PNUD) présentent des statistiques sur l’état du développement
humain dans le monde. S’agissant, par exemple, de la sécurité humaine, le
rapport de 1994 de PNUD formule sept composantes ou valeurs spécifiques qu’il
faut partager. Il s’agit de la sécurité économique, la sécurité alimentaire, la
sécurité sanitaire, la sécurité environnementale, la sécurité individuelle, la
sécurité communautaire et la sécurité politique.
Par
ailleurs, l’Agence Française de Développement (AFD), dans son Département de la
Recherche a publié un ouvrage, sous la direction de Valérie Reboud, intitulé Amartya
Sen : un économiste du développement ? Cet ouvrage présente les
travaux d’Amartya Sen qui ont nourri la réflexion sur le développement et ses
moyens d’action. L’approche par les « capabilités » et ses
interprétations par différents penseurs y occupent une place centrale.
De sa part, aux éditions Odile Jacob, Joseph
Stieglitz, en collaboration avec Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi, a publié en
2010, l’ouvrage intitulé Richesse des
nations et bien-être des individus. Préfacé par le président français
Nicolas Sarkozy, cet ouvrage traite des questions sur la mesure des
performances économiques et du progrès social, d’un côté, et celles relatives
au PIB, à la qualité de vie et au développement durable. Il reformule douze
recommandations qui vont dans le sens d’une prise en compte de toutes les
dimensions du bien-être. Il s’agit de mettre plus d’accent sur la mesure du
bien-être de la population en se référant aux revenus et à la consommation
plutôt qu’à la production ; de privilégier le calcul du revenu et de la consommation
des ménages ; de prendre en compte le patrimoine ; d’utiliser les
activités, les valeurs centrales médianes ; d’intégrer les activités non
marchandes dans les revenus ; de fournir les indicateurs d’inégalité de la
qualité de vie ; d’étudier les liens entre les différents aspects de la
qualité de vie ; de construire de nouveaux indicateurs de la qualité de
vie ; de collecter l’évaluation que fait chacun de sa vie, de ses
expériences et propriétés ; de mettre en place des signaux d’atteinte à
l’environnement ; de disposer d’un tableau de bord de la soutenabilité
permettant d’apprécier les variations des stocks. Ils soulignent que les
dimensions objectives et subjectives sont toutes importantes dans l’évaluation
du développement.[5]
Notre
ambition s’inscrit dans le cadre de la recherche du fondement de la qualité de
vie. Ce thème n’a jamais été abordé dans les travaux de la faculté des lettres
et sciences humaines à l’Université Officielle de Bukavu, en général, et au
département de philosophie en particulier. Pour ce faire, nous pensons que le
présent travail pourra susciter la curiosité scientifique des étudiants en
philosophie afin d’en approfondir et d’en élargir le contenu.
2.
PROBLÉMATIQUE
Les
échanges commerciaux s’accroissent au fait de maintenir d’un côté les pays riches et, de l’autre les pays
pauvres. Cette réalité n’est pas récente. Elle remonte aux temps les plus
anciens. L’histoire des juges et des rois de la Bible, les conquêtes romaines,
peuvent en être les exemples les plus expressifs. Le désir de s’enrichir économiquement et de
répandre le pouvoir politique était le moteur de ces conquêtes. Ainsi, la quête
d’intérêt économique, politique et géopolitique reste inhérente à l’homme. Bien
qu’ancien, c’est autour du XVIème siècle que ce phénomène prend de l’ampleur
suite à la pluralité des économies dans le monde. D’où la naissance du concept
de mondialisation de l’économie[6].
Toutefois, « c’est à partir du XIXème siècle que le phénomène
d’unification tend à dessiner un mouvement irréversible, littéralement adossé à
la révolution industrielle que connaît alors la Grande-Bretagne »[7].
En
effet, le phénomène de la globalisation s’accélère avec la libéralisation du
marché mondial. Ce dernier se caractérise par la loi de l’exportation et de
l’importation. La libéralisation du marché sur la scène mondiale aura pour
conséquence le primat des considérations économiques sur des considérations
morales, sociopolitiques, conduisant à l’imposition des entreprises privées et
des organisations intergouvernementales, internationales ou régionales dans la
gestion des affaires. Aussi assistons-nous au risque de faire prévaloir les
considérations économiques et financières sur les questions fondamentales
d’ordre social, sanitaire ou environnemental, moral et existentiel. D’où trois
questions fondamentales pour cette étude :
v La
croissance économique poursuivie par les philosophes libéraux et soutenue en
cela par les théoriciens de l’économie du marché favorise-t-elle réellement
l’épanouissement de la personne humaine?
v Quels
sont les enjeux économiques, politiques et socio-environnementaux du phénomène
de la mondialisation ?
v Quelles
sont les conditions de possibilité de l’amélioration de la qualité de vie
individuelle, surtout en ce temps où l’économique l’emporte sur les intérêts
complets et totaux de l’homme?
3. HYPOTHÈSE
La
tentative de résoudre les problèmes que pose le phénomène de mondialisation a
fait naître parmi les philosophes et économistes, le débat sur le développement
qui prendra en compte toutes les dimensions de la vie humaine. Le philosophe et
économiste Amartya Sen introduit, une nouvelle vision du développement. Pour
lui, le développement n’est humain que dans la mesure où il augmente les
possibilités des individus de mener une vie conforme à leurs attentes. Ainsi
entend-t-il par développement humain une augmentation des libertés des
individus comme moyen et fin du développement. C’est par les
« capabilités » que la qualité de vie peut être meilleure, et par
conséquent, épanouir l’homme. Les gens devront être dotés de moyens nécessaires
dans le choix de mode de vie qu’ils souhaitent mener. Car l’option libérale de
l’économie de marché a creusé le fossé entre pays et réduit l’épanouissement de
l’homme.
4.
CHOIX ET INTÉRÊT DU SUJET
Le
débat sur la préservation du patrimoine naturel en général et de l’humanisation
de la mondialisation en particulier, s’est rapidement transformé en quelques
années, en une réflexion plus globale sur les conditions que le développement
économique doit respecter pour que les choix présents ne pénalisent pas les
générations futures. Cette réflexion s’appuie sur le concept du développement
durable dont le contenu est précisé par la Commission Bruntland (1987)[8]: « Le
développement durable est un développement qui permet à la génération présente
de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs
besoins ». Ce processus prend en compte les dimensions économiques,
sociales et environnementales, sans attribuer de priorité à l’une d’entre
elles.[9]
Pourtant, c’est bien la dimension environnementale qui semble être privilégiée
dans des conférences internationales. Pour cette raison et mû par le désir de
contribuer à l’amélioration de la qualité de vie humaine, nous faisons nôtre
cette problématique. Nous appuyant sur les écrits d’Amartya Sen en général et
plus précisément sur son concept de « capabilité », nous avons
intitulé notre travail de la manière suivante : « Pour un développement humain par les ‘’capabilités’’ chez
Amartya Sen ». Par cette entreprise scientifique nous entendons contribuer
au débat sur l’ « humanisation de la mondialisation ».[10]
Comme réflexion philosophique, notre travail s’inscrit en philosophie morale,
car il se veut une éthique de l’économie du marché et de la vision politique
libérale.
5.
MÉTHODE
Toute
entreprise scientifique, de quelque nature soit-elle, traite d’un objet en vue
d’une finalité moyennant une méthode bien précise. Ce présent travail ne fait
pas exception. Son objet est le développement humain. Sa finalité est d’établir
les conditions de possibilité de l’amélioration de la qualité de vie des
personnes. Pour y parvenir nous procéderons par une lecture analytique et
critique. Par lecture analytique, il faut entendre l’analyse du phénomène de la
mondialisation. Par lecture critique il sera question d’un effort d’interroger
la pensée d’Amartya Sen sur le
développement conçu comme un ensemble des libertés, d’en mesurer la portée afin
de présenter les limites de l’économie libérale. D’autres ouvrages et articles
faisant référence à notre problématique, des conférences s’y référant ainsi que
l’internet constituent une source non négligeable dans l’accomplissement de
notre projet.
6.
SUBDIVISION DU TRAVAIL
Eu
égard à l’objet de notre recherche scientifique qui est celui du développement
entendu comme épanouissement, nous allons cheminer en trois temps. D’abord,
l’examen du phénomène de la mondialisation constituera le socle du premier
chapitre. Il sera ici question de répondre d’un côté, à la question de savoir
si la croissance économique profite aux plus démunis par ses enjeux
économiques, politiques, socio-environnementaux et moraux. Ensuite, l’analyse
des dérives de la mondialisation nous conduira à l’établissement des conditions
de possibilité de l’amélioration de la qualité de vie humaine à la lumière du
concept de « capabilité ». Telle sera la pierre angulaire du deuxième
chapitre. Le troisième chapitre, enfin, portera sur la question de savoir
comment, par les « capabilités », les différents acteurs économiques
peuvent assumer leurs responsabilités éthiques sur le marché mondial. Ces trois
moments seront précédés d’une introduction générale et clôturés par une
conclusion générale.
7. DIFFICULTÉS RENCONTRÉES
Au
cours de la rédaction du présent travail nous nous sommes heurtés à des
difficultés qu’il s’avère important de mentionner. L’une de ces difficultés était
celle du manque d’ouvrages philosophiques traitant de notre sujet, étant donné qu’il
semble être plus du domaine économique que philosophique. Pour relever ce défi,
nous avons fait la commande de l’ouvrage qui sous a servi de base à notre
rédaction. Il s’agit du livre d’Amartya Sen intitulé Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté. L’autre difficulté était celle des
sollicitations des notions en science économique dès lors que nous abordons la
question du développement en philosophie. Nous avons contourné cette difficulté
grâce au recours à l’outil internet et à la consultation des dictionnaires
appropriés. Cette difficulté a fait naître en nous le désir d’étudier, dans le
futur les sciences économiques pour mieux en saisir la quintessence.
6. VIE DE L’AUTEUR[11]
Economiste
et Philosophe indien, Amartya Kumar Sen (en Bengali : অমর্ত্য কুমার সেন, Ômorto Kumar Shen)
est né le 3 Novembre 1933 sur un Campus universitaire à Santiniketan, dans
l’actuel Etat du Bangale-Occidentale. Son père fut professeur de Chimie à
l’université de Dhaka, actuelle capitale de Bangladesh. Son grand-père fut
philosophe et auteur des écrits sur la civilisation indienne et, en particulier
sur l’hindouisme. Il fut également professeur de Sanskrit à l’université Visva
Bharati à Santiniketan.
Amartya
Sen a reçu le « Prix Nobel » d’économie en 1998 pour ses travaux sur
la famine, sur la théorie du développement humain, sur l’économie du bien-être,
sur les mécanismes fondamentaux de la pauvreté et sur le libéralisme politique.
De 1998 à 2004, Amartya Sen a été Directeur du Trinity College à l’université
de Cambridge, devenant ainsi le premier universitaire asiatique à diriger un
des collèges d’Oxbridge.
Amartya
Sen est aussi une partie prenante dans le débat sur la mondialisation. Il a
donné des conférences devant les dirigeants de la Banque Mondiale. Il est le
président honoraire d’Oxfam. Parmi ses nombreuses contributions à l’économie du
développement, Amartya Sen a fait des études sur les inégalités entre les
hommes et les femmes. On lui reconnait l’invention, en collaboration avec
Mahbub Ul Haq, de l’Indice du Développement Humain(IDH) paru en 1990 dans le
rapport sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le
Développement(PNUD). Le concept fondamental de ses travaux est celui de
« capabilité ».
Il
a écrit entre autres :
Development as Freedom(1999)
traduit sous le titre de : « Un
nouveau modèle économique et social. Développement, justice et liberté » ;
Ethique et économie et autres essais,
traduit de l’anglais par Sophie Marnat, PUF, Paris, 1993 ; Choice of technics :an aspect of the
planned economic development (1960); Identité
et violence(2010); L’idée de justice(2012);
Choice welfare and Measurement(1983);
Repenser l’inégalité(en collaboration
avec Paul Chemla, 2012) ; L’économie
est une science morale (en collaboration avec Marc Saint Upéry,
2004) ; Growth économics (1970) ;
On économics inequality (1989) ; La
démocratie des autres (en collaboration avec Monique Bégot, 2006) ; Dix vérités sur la mondialisation (2001) ;
etc.
PREMIER CHAPITRE :
DU PHÉNOMÈNE DE LA MONDIALISATION
La
mondialisation continue à faire parler d’elle. Pour Amartya Sen, elle « n’est pas un phénomène nouveau pas
plus qu’elle n’est une simple occidentalisation. Pendant plusieurs années,
poursuit-il, la mondialisation a
progressé du fait des voyages, du commerce, des migrations, de l’expansion des
cultures, de la propagande du savoir et des découvertes (y compris dans la
science et la technologie). Les influences ont joué dans diverses directions.
Ainsi, vers la fin du millénaire qui vient de s’achever, le mouvement s’est en
grande partie opéré à partir de l’Occident, mais à ses débuts (aux environs de
l’an 1000), l’Europe s’imprégnait de la science et de la technologie chinoises,
des mathématiques indiennes et arabes[12]. »
Il
faut se garder de confondre la mondialisation avec un réseau de solidarité
internationale ou mondiale. Tout au contraire elle apparaît dans son
fonctionnement concret comme le nouveau pilier du capitalisme. Aussi est-elle sous-tendue, motivée
par une quête d’intérêts (économiques, politiques, géopolitiques) divers, mais
globalement contrôlés par de grandes firmes logées dans de grandes puissances
mondiales. Ce nouvel ordre économique mondial présente un contraste :
d’une part, la prospérité sans précédent de certains pays, et d’autre part,
l’immense misère que connaissent les pays dits du tiers monde[13]. Ce
contraste nous pousse à la question de savoir si la croissance économique, qui
fonde l’économie du marché, favorise réellement l’épanouissement de tout
l’homme. La tentative de réponse à cette problématique constitue la pierre dorsale
de ce présent chapitre.
Pour
y parvenir nous allons procéder en trois temps. D’abord, nous tenterons de
comprendre ce qu’est la mondialisation : sa définition et son histoire.
Ensuite, il sera question d’examiner les facteurs et les acteurs de ce phénomène.
Enfin, nous jetterons un regard sur les enjeux socio-économiques, politiques et
environnementaux de la mondialisation.
I.1. Définition et
historique de la mondialisation
I.1.1. Définition
Le monde est en train de devenir un
unique immense marché, un village planétaire. La mondialisation fait référence
à un processus qui se caractérise par l’expansion des télécommunications et des
technologies de l’information, la réduction des barrières nationales au commerce
et à l’investissement, l’accroissement des flux de capitaux et
l’interdépendance des marchés financiers. S’il en est ainsi, que désigne le
concept de mondialisation ? Le rapport du module environnement[14]
définit la mondialisation comme une vague de libéralisation des échanges, des
investissements et des flux de capitaux ainsi que l’importance croissante de
tous ces flux et de la concurrence internationale dans l’économie mondiale. Le
concept de mondialisation traduit surtout une intensification des échanges
économiques entre les principaux pôles de croissance que sont l’Amérique du
Nord, le Japon, l’Europe occidentale, les nouveaux pays industrialisés d’Asie
dont la Chine, l’Inde et l’Indonésie. Ces évolutions, poursuit ce rapport,
provoque de grandes innovations technologiques dans des pays en voie de
développement. Ces innovations ont pour conséquence le rétrécissement de
l’espace international en créant des interactions toujours plus denses entre
les sociétés. Par ailleurs, la mondialisation suppose un essor des échanges
socioculturels entre les différentes régions du monde, la prolifération d’ONG,
de réseaux et d’associations de toutes sortes qui s’organisent sur une base
transnationale.
Bernard Guillochon définit la mondialisation en
trois moments. Dans un premier moment, la mondialisation désigne « l’ensemble des phénomènes qui résultent de
l’ouverture croissante des économies aux marchandises et aux capitaux étrangers[15] ». Ainsi comprise, la
mondialisation se fonde sur l’intensification des relations commerciales. Cette
intensification des échanges est largement faite des entreprises
multinationales issues, en majorité, des pays les plus industrialisés. Dans le
deuxième moment, la mondialisation désigne « la migration des hommes à la recherche de meilleurs salaires[16] ».
Dans un troisième moment, le concept de mondialisation désigne « une formidable accélération des
transactions sur le marché des titres, ce qui peut provoquer la déstabilisation
de toutes les économies, comme le révèle la crise de 2008[17] ».
Bref, « le terme de
mondialisation désigne l’ensemble des phénomènes à travers lesquels la vie de
chaque habitant de la planète est liée, au moins en partie, à des décisions
prises en dehors de son propre pays et sur lesquelles il n’a aucune influence[18]. »
Le concept fondamental du débat sur la
mondialisation est la globalisation financière. Ce concept est utilisé pour
désigner les échanges basés sur la recherche de meilleures opportunités de
profit par les entreprises.
« L’organisation des processus
productifs à l’échelle du globe et la rapidité des circulations de
l’information stimulent les échanges entre les nations. Cette globalisation
financière se caractérise par la facilité avec laquelle les capitaux se
déplacent dans le monde entier[19]. »
La mondialisation est ainsi un phénomène qui entraîne tout sur son passage.
I.1.2. Histoire de la
mondialisation
Comme mentionné plus haut, la mondialisation n’est
pas un phénomène récent. Déjà à la renaissance, une partie du développement de
l’Europe est basé sur les échanges avec des régions lointaines. La
globalisation de l’économie remonte donc au XVIème siècle. Cependant, il faut
remarquer que c’est à partir du XIXème siècle que ce phénomène d’unification
tend à dessiner un mouvement irréversible, littéralement adossé à la révolution
industrielle que connaît alors la Grande-Bretagne. L’ouverture des marchés a
provoqué des résistances qu’illustrent les barrières douanières britanniques,
françaises, allemandes et américaines.
Il n’est pas facile de tracer l’histoire de la
mondialisation étant donné que ce phénomène est lié à l’homme de tous les
temps. Certains auteurs répartissent ces phénomènes sur deux vagues, d’autres
sur trois phases. Nous nous proposons d’examiner ces deux tendances qui, loin
de se contredire, se complètent mutuellement.
Bernard Guillochon divise l’histoire de la
mondialisation de l’économie en deux vagues. La première vague s’étend sur la
période allant de 1850 à 1914. L’économie mondiale est dominée en cette période
par la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis. En effet, au milieu du XIX
ème siècle, on assiste en Grande-Bretagne aux mutations profondes de la
révolution industrielle, de la mécanisation du textile, de l’introduction de la
machine à vapeur, de la production de masse, de la construction des chemins de
fer. La Grande-Bretagne et la France signent un traité en 1860 portant sur la
suppression des droits de douane. Ce traité marque le début du processus de
libéralisation en Europe. Cette première manche de la mondialisation est aussi
ponctuée par la croissance des échanges internationaux dans la production
mondiale d’une part, et de la baisse du coût du transport maritime due au
remplacement de la marine à voile par la marine à vapeur, d’autre part.
La deuxième vague va de 1950 à nos jours. Cette
période est soutenue par l’adoption par les pays occidentaux (à partir de 1945)
des politiques macroéconomiques inspirées du keynésianisme[20] ;
la création des institutions multilatérales dans le but de coopération ;
la création du FMI, issue des accords de Bretton Woods en juillet 1944 et mise
en place d’un nouveau système monétaire international fondé sur la fixité des
taux de change. En 1947, les gouvernements signent l’accord général sur les
tarifs douaniers et le commerce (GATT : General Agreement on Tarifs and
Trade) dans le but de libéraliser le commerce. Cet accord a servi de cadre dans
les négociations commerciales multilatérales sur les abaissements de barrières
aux échanges. En 1994, le GATT est remplacé par l’OMC.
Entre ces deux vagues de mondialisation se situe la
période d’entre-deux-guerres. Pendant cette échéance, le marché mondial est
dominé par la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et la France. La première Guerre
Mondiale a été favorable à certains pays. D’un côté elle a permis au commerce des
États-Unis, du Japon et de l’Amérique Latine de bénéficier d’une expansion bien
supérieure à celle de la période antérieure ; de l’autre, on assiste à une
crise appelée « crise de 1929 ».
En effet, le jeudi 24 octobre 1929 est une date importante dans l’histoire
de la mondialisation. Elle marque, d’une part, l’effondrement des cours
boursiers de Wall Street, et d’autre part, le début de la crise de 1929 qui a
eu pour effet la dévaluation dans le but de stimuler les exportations,
l’instauration des barrières dans le but de protéger le marché domestique,
chute profonde du commerce mondial et le repliement des pays industrialisés sur
leurs zones d’influence (L’empire colonial pour la France, le Commonwealth pour
la Grande-Bretagne).
Les deux vagues de la mondialisation présentent
quelques points communs qu’il sied de mentionner ici. Il s’agit de la
croissance rapide des échanges commerciaux, investissements directs étrangers,
migrations humaines, transformations profondes du système productif,
augmentation de certaines inégalités aussi bien entre pays qu’au sein des pays,
baisse du coût de transport. S’agissant des points divergents, il faut
remarquer qu’avant le démarrage de la première mondialisation, la plupart des
pays étaient unis en quelque sorte par leur pauvreté commune et par le fait que
leur activité dominante était l’agriculture. C’est le contraire pour la
deuxième mondialisation qui s’ouvre dans le contexte d’inégalité. Dans les
années 1950, le monde se trouve divisé entre les nations riches et les nations
pauvres. Il y a accélération de la circulation d’informations dans la deuxième
mondialisation et la facilitation du commerce des biens et des mouvements de
capitaux à court terme. On assiste, également, dans cette phase, à une
évolution notoire du système économique. Aujourd’hui, les peuples réclament la
croissance et le plein emploi. D’où la contrainte d’adopter des politiques qui
atténuent les effets de la mondialisation. De 1950 à nos jours, les échanges
internationaux sont, au moins en partie, régulés par les institutions
supranationales (OMC, FMI et Banque mondiale) et non plus par un seul pays
leader comme c’était le cas du Royaume-Uni entre 1850 et 1914.
Par ailleurs, certains rapports abordent la question
de l’histoire de la mondialisation en la subdivisant en
trois phases[21] .
I.1.2.1.La
première phase couvre la période 1849-1914
Elle correspond à la mise en place d’un espace mondial des échanges de matières
premières, de productions agricoles et industrielles. A cette époque,
l’Angleterre entame sa croisade libre-échangiste, à contre-courant du
protectionnisme qui se répand dans les années 1880 en Europe. L’apparition du
chemin de fer et la révolution maritime, rendues possibles grâce à la machine à
vapeur, permettent l’apparition d’un marché mondial. La baisse du coût des
transports encourage des flux commerciaux nouveaux, d’abord interrégionaux puis
internationaux. L’Europe participe aux deux tiers des échanges mondiaux,
principalement dans les domaines du charbon, du fer et des produits
manufacturés. Par cette forte participation au marché mondiale, l’Europe
s’affirme comme la première zone commerciale du monde. Au sein de cette
Europe en plein essor sont nées des
tensions commerciales, entre une Allemagne dont le commerce est en phase
d’expansion et un Royaume uni sur le déclin. Deux systèmes d’alliance se forment :
le Triplice de Bismarck d’un côté, et la Triple Entente (France, Russie,
Royaume-Uni), de l’autre. Ces échanges commerciaux sont sources de profit et de
puissance. Les flux financiers tendent à devenir internationaux : l’or
européen ruisselle sur le monde. Ce vieux contient exporte des capitaux dans le
monde entier.
Cette phase de la mondialisation est également
marquée par des flux migratoires denses. Ceux-ci ne sont pas dus seulement à la
grande famine irlandaise dans les années 1845, mais aussi aux 50 millions d’Européens
qui ont immigré vers de colonies de peuplement jusqu’en 1914. Ces mouvements
démographiques peuvent être expliqués tout d’abord par l’existence d’un monde
« plein » et d’un autre « vide », mais également par un
attrait tout particulier pour le nouveau monde, synonyme de liberté,
d’enrichissement rapide, d’une terre peu coûteuse. Ainsi assiste-t-on à une véritable course aux
colonies et au partage du monde. Deux grandes puissances s’affirment :
l’Angleterre qui domine sur les Indes, la Birmanie, Singapour, Hong Kong, Boméo,
Sumatra, la Malaisie ; et la France
qui possède des territoires en Indochine, en Afrique noire, occidentale,
équatoriale et du Nord.
I.1.2.2.
Une deuxième phase s’ouvre avec la résistance des États et couvre la période
1914-1989
Elle marque un coup d’arrêt à la mondialisation
des capitaux, des biens et de services. Appelée également « l’entre-deux-guerres », cette
période est synonyme du repli à l’ouverture mondiale des pays européens. En
effet, le vieux continent est affaibli, après la catastrophe démographique,
monétaire et financière, résultat de la guerre de 1914. C’est une période qui
profite donc à l’émergence des Etats-Unis comme première puissance mondiale,
ainsi qu’à l’anticolonialisme. L’Europe perd son prestige de modèle. Cette perte
débouchera sur une préparation progressive à l’auto détermination, tout d’abord
avec le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Un désordre monétaire sans
précédent apparaît dans les années 20 : le mark s’effondre, le franc est
en difficulté et la monnaie britannique connaît bien des malheurs, pris au
piège de la monnaie forte ; le Royaume uni connaît un recul des
exportations, une stagnation de l’économie et une montée du chômage.
Le commerce mondial demeure fragile à cause
d’une nouvelle donne économique, avec les Etats-Unis au poste de leader des
transactions, et qui en profitent pour donner l’exemple en matière de
protectionnisme, en relevant les protections douanières à 30% de la valeur du
produit importé. Des mesures qui ne contribuent pas à redynamiser les échanges
mondiaux.
Les migrations de masse s’estompent car les pays
d’accueil ferment tour à tour leurs frontières aux migrants. C’est le cas des
Etats Unis, du Canada, du Brésil, de l’Argentine et de l’Australie.
La crise devient mondiale dans les années 30. Le
krach boursier du 20 Octobre 1929 à Wall
Street marque un coup d’arrêt aux investissements et à la consommation.
S’ensuit une insuffisance de la demande par rapport à l’offre, d’où une crise
de surproduction. La chute des prix est inévitable, entraînant dans son sillage
faillites et fermetures d’un grand nombre d’entreprises, faisant par là même
exploser les chiffres de chômage. La « Hoover panic » s’étend par un
effet domino à l’Amérique Latine et au Japon. Les Etats-Unis retirent tous leurs
capitaux des pays européens, ce qui asphyxie l’Allemagne et toute l’Europe
centrale.
Dans un milieu aussi peu propice aux échanges, le
commerce international ne peut que s’effondrer. Les pays tombent alors dans
l’engrenage du protectionnisme ; c’est le cas de l’Angleterre qui devient
protectionniste en 1932 et de la France. D’autres pays ont recours à
l’autarcie : l’Italie l’avait ordonné dès 1925, avec la bataille du blé.
La fragmentation monétaire se fait plus prégnante dans la vie économique mondiale. Le
23 Juillet 1933, la France, l’Italie, la Suisse, le Pays Bas, la Belgique, la
Pologne s’allient sous la bannière du Bloc Or, principalement pour lutter
contre la politique de dépréciations des Etats-Unis. Mais dès 1933, cette
alliance connaît de sérieux revers : de lourds déficits commerciaux, qui
poussent ensuite l’Italie à se retirer en 1934, puis la Belgique en 1935. En
Septembre 1936, cette alliance se dissout définitivement.
I.1.2.3.
Une troisième phase : la mondialisation contemporaine
Elle prend
ses origines dans l’après-Deuxième Guerre mondiale : les interactions et
échanges de capitaux, de biens et de services se développent mais entre
des espaces comparables, entre des blocs régionaux, entre les puissances
industrielles. Cette mondialisation contemporaine s’effectue par le retour au
principe du libre échange, sous l’égide de Roosvelt ; les accords du GATT
signés en 1947 dont les dispositions concernent les tarifs douaniers et le
commerce. Suivra en 1949 la Charte de la
Havane qui complète le GATT.
Dans les années 70, on assiste à la résurgence de
quelques incertitudes. Le premier choc pétrolier met en cause quelques
principes jusqu’alors incontestés. C’est désormais l’instabilité qui préside
aux échanges. En 1979, c’est le deuxième choc pétrolier, le prix du baril de
pétrole s’envole. Il faudra attendre les années 85-90 les effets du contre-choc
pétrolier, c’est-à-dire la chute du prix de l’or, possible grâce à une
politique contre le gaspillage, à l’ouverture de recherches sur le nucléaire et
les énergies dites nouvelles, et au recul des énergies lourdes grandes
consommatrices d’énergie.
Dans les années 90, les évolutions conjecturelles
sont régionales. La prise de conscience et d’initiative n’est plus seulement
réservée aux nations, elle s’est démocratisée aux collectivités territoriales
et aux associations, aux acteurs sociaux locaux. Les années 1997 et 2000
connaissent une augmentation de 11% du volume du commerce mondial. Ce dynamisme
s’accompagne d’une insertion accélérée des pays en développement dans ces
échanges mondiaux.
I.2.
Facteurs et acteurs de la mondialisation
I.2.1. Facteurs de la
mondialisation
L’histoire de la mondialisation nous a révélé
l’existence de facteurs qui ont contribué à déclencher le processus de globalisation
et à l’entretenir. Ce phénomène est voué à l’expansion vers toujours plus de
ressources, vers des interactions entre plusieurs acteurs économiques plus
importantes et plus lourdes de conséquences. Le rapport du module sur
l’environnement souligne trois facteurs illustrant cette tendance à la
croissance. Il s’agit : primo, des exportations des marchandises et des
flux de population. D’après les chiffres recueillis en 2000, les Etats-Unis et
la Russie arrivent en tête de la liste des 15 pays ayant récence le plus grand
nombre de migrants internationaux du monde, avec respectivement 35 millions et
13,3 millions de personnes[22]. Ces
flux de population particulièrement dense sont à mettre en rapport avec les
migrations des colons et des Irlandais au début de la mondialisation et aux
moyens de transports dont ils disposaient alors. La baisse sensible du coût des
transports influence l’accélération de cet aspect de la mondialisation. Tant
que les transports ne seront pas un facteur limitant de par leur prix, pour le
libre-échange de marchandises ou la libre circulation des personnes, ces flux
continueront de s’accroître.
Secundo, les télécommunications. En effet,
l’évolution des techniques, depuis la
machine à vapeur jusqu’à la mécanisation des tâches, a permis aux transports de
jouer un rôle crucial au niveau de la mondialisation. C’est par eux que les
transferts de matières premières ou des capitaux ont pu être effectués. Les
migrations de masse, et aujourd’hui la délocalisation[23]
massive des industries sont les résultats de cette facilité à se déplacer. Les
communications facilitent la circulation rapide des informations et permettent
la sécurité dans la prise de décision, surtout nécessaire au fonctionnement
d’une économie. Cependant, les moyens de communication sont évidemment appelés
à croître dans le futur. Cette croissance pourra avoir des conséquences
géopolitiques très marquées. L’essor des télécommunications génère de nombreux emplois, et ceux-ci sont
en grand nombre localisés en Asie (Pakistan, Inde, Corée et Chine).
Tertio, l’abolition des barrières commerciales, la
libéralisation des marchés financiers et la libre circulation des flux
d’épargne. En effet, les échanges de capitaux entre les nations et les
continents sont régis par les lois du marché mondial. Cette normalisation
constitue la clé de voûte d’une globalisation des échanges, et surtout d’une
dynamique de gommage des inégalités. D’où la possibilité de soutenir
financièrement un pays en difficulté, d’effacer une partie de sa dette
extérieure, et d’y investir pour l’aider à se construire.
Bernard Guillochon, de son côté, résume ces facteurs
en trois « D ». Ces phénomènes, pour lui, ont favorisé l’accélération
de la globalisation financière. Il s’agit de la Déréglementation, du Décloisonnement
et de la Désintermédiation. Ces trois « D » ont facilité, à partir
des années 1980, la circulation du capital entre les pays, sous toutes ses
formes, particulièrement sous la forme d’investissement de portefeuille.
En effet, certaines barrières juridiques ont déréglementé les
gouvernements. Cette déréglementation a facilité les entrées et les sorties des
capitaux dans ces gouvernements. La mobilité financière a été également rendue
possible par la suppression de certains obstacles légaux empêchant auparavant
la communication entre divers marchés financiers. Enfin, les banques, qui sont des
intermédiaires financiers, ont été remplacées, en partie, par les marchés
financiers(les bourses). C’est la désintermédiation. Celle-ci correspond à un
accroissement sans précédent du volume des transactions sur titre (actions et
obligations) et la création d’instruments financiers nouveaux avec pour
objectif de permettre de se prémunir contre certains risques.
La
mondialisation est une dynamique dont les vrais acteurs se trouvent être les
grandes puissances occidentales, avec en tête les Etats-Unis d’Amérique. Le mot
« puissance » signifie
dans le contexte mondial actuel que ces pays sont riches, forts (force de
feu ‘’bombe atomique’’, force financière, force scientifique,…) et ont
par conséquent les moyens de se faire craindre, de s’imposer à tout le monde,
d’intervenir où ils veulent quand ils veulent pour des raisons des intérêts qui
leur sont propres.
Il
faut noter que la consolidation des puissances internationales ne doit rien au
hasard. En effet, l’invention de la bombe atomique a permis aux Etats-Unis, en
coalition avec l’Angleterre et la France de vaincre le IIIème Reich, le nazisme
hitlérien et mettre ainsi fin à la IIème Guerre Mondiale L’Allemagne se
relèvera vite et reprendra le commandement transatlantique et le conseil de
sécurité où siègent la Chine, le Japon et la Russie, à côté de grandes
puissances occidentales déjà citées. Autant dire que les grandes puissances
actuelles qui siègent toutes au Conseil de sécurité de Nations Unies ne sont
finalement que les protagonistes de la IIème Guerre mondiale décidés de s’unir
pour mieux se protéger, protéger leurs intérêts et, à la phase actuelle,
contrôler le monde.
Comment
ces puissances contrôlent-elles effectivement le monde et l’alignent à leurs
intérêts ? La réponse passe par des structures qui le leur permettent: les
institutions multilatérales, les relations bilatérales, ainsi que des
entreprises transnationales.
I.2.2.1. Les
institutions multilatérales
Il
s’agit des institutions internationales qui regroupent en leur sein plusieurs
Etas telles que le Fonds Monétaire International, la Banque Mondiale, les
systèmes des Nations Unies (ONU, CPI, OMC, OMS). Sans aucune prétention à
l’exhaustivité, analysons quelques-unes qui nous semblent principales.
La Banque
Mondiale investit contre la pauvreté. Le groupe de la Banque Mondiale comporte
cinq organismes. La BIRD (la Banque Internationale pour la Reconstruction et le
Développement) créée en 1945, a pour objectif de réduire la pauvreté des pays à
revenus intermédiaires et des pays pauvres solvables. Elle soutient le
développement par des prêts, des garanties et des services gratuits, en
particulier des conseils. Les pays membres, au nombre de 185 en 2009, sont
propriétaires du capital de la Banque. Les fonds prêtés sont, pour l’essentiel,
obtenus sur les marchés financiers internationaux par émissions d’obligations.
L’IDA (Association internationale pour le
développement) accorde des prêts sans intérêts aux pays les plus pauvres, grâce
aux contributions des Etats des pays les plus riches. La SFI (Société
Financière Internationale) organise des financements en partenariat avec
d’autres investisseurs, souvent privés, pour permettre de réaliser des projets
dans les pays en développement. L’AMGI (Agence de Garantie Multilatérale des
Investissements) assure les investisseurs étrangers qui financent des projets
dans les pays en développement contre les pertes liées à des risques non
commerciaux. La CIRDI (Centre International pour le Règlement des Différends
relatifs aux Investissements) organise la conciliation et arbitre, si besoin
est, les conflits entre investisseurs étrangers et Etats où les investissements
ont eu lieu.
Le FMI (Fonds
Monétaire Internationale) investit dans la surveillance contre les dérives
économiques. La décision de créer le FMI a été prise à la conférence de Bretton
Woods de 1944 et l’institution est entrée
en fonction en décembre 1945, après ratification des statuts. Il siège à
Washington. En juin 2009, le FMI compte 185 pays membres. Ses objectifs
sont : encourager la coopération monétaire internationale, faciliter le
commerce mondial, permettre la facilitation des changes, aider à établir un
système multilatéral de paiements, aider temporairement les pays qui ont des
difficultés de balance de paiements. Ses grands domaines d’activité actuels
sont la surveillance des politiques de change et des politiques
macroéconomiques adoptées par les membres, l’assistance financière par
l’attribution de crédits et de prêts aux pays membres ayant des difficultés de
balance de paiements, l’attribution de concours concessionnels pour la
croissance(FRPC), l’instauration d’allégement de la dette au titre de
l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés(PPTE). De plus, il
apporte une assistance technique pour aider les pays à mieux concevoir et mieux
gérer leurs politiques macroéconomiques.
L’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Créée le
01/01/1995 par les négociations du cycle d’Uruguay (1986-1994), l’OMC possède
son siège à Genève. Elle comptait, en 2009, 153 membres. Ses principales
fonctions consistent en l’administration des accords commerciaux signés par les
membres, l’organisation des négociations commerciales multinationales, le
règlement des différends commerciaux portés devant sa juridiction et le suivi
des politiques commerciales. Elle apporte également une assistance technique
aux pays en développement, elle coopère avec les autres organisations
internationales et elle détermine la procédure à suivre pour devenir membre de
l’OMC. Celle-ci a remplacé, à partir de 1995, le GATT, en tant qu’organisme
chargé de superviser le système commercial.
ALENA (Accord de Libre-échange Nord-Américain).
L’ALENA (en Anglais NAFTA : North American Free Trade Agreement) a été
signé entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique en Janvier 1994. Cet accord
vise à favoriser les échanges commerciaux et les investissements entre les
trois pays. Il prévoit l’élimination de toutes les barrières tarifaires et non
tarifaires entre les membres et l’harmonisation de leurs règles en matière de
mobilité des capitaux, de services, de propriété intellectuelle et de
concurrence. La particularité de l’ALENA est d’associer deux pays développés
(le Canada et les Etats-Unis) à un pays émergent (le Mexique).
ASEAN
(Association of South East Asian Nations). L’ASEAN (en français
Association des Nations du Sud-est Asiatique), créée en 1967 à Bangkok,
rassemble en 2006 les pays suivant : Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos,
Malaisie, Myanmar (Birmanie), Philippines, Singapour, Thaïlande et Viêt Nam.
L’objectif est de créer une zone de libre-échange et de favoriser l’entrée des
capitaux étrangers.
MERCOSUR (Mercado
Comûn del Sur). Le 26/03/1991, par le traité d’Asunción,
l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay décident de créer un marché
commun, qualifié de marché commun du sud de l’Amérique. Le but est de réaliser
l’intégration des quatre pays, à partir de la libre circulation des biens, des
services et des facteurs de production, d’établir un tarif extérieur commun,
d’adopter une politique commerciale commune et de coordonner les politiques
macroéconomiques et sectorielles.
OCDE (Organisation de Coopération et Développement
Economique). L’OCDE dont le siège est à Paris, est un organisme de conseil
d’étude. Il rassemble des pays attachés à la démocratie et ayant opté pour un
système d’économie de marché. L’OCDE publie des statistiques et des analyses
sur la situation économique de ses 30 membres et, parfois, non membres. Elle
fournit des évaluations des politiques économiques adoptées et des
recommandations sur les politiques souhaitables.
L’Union Européenne (U.E) est née en 1950 avec six pays
décidant alors de s’unir économiquement. Le traité de Rome de 1957
institutionnalise cette volonté en fixant des objectifs ambitieux : libre
circulation des marchandises, des hommes et des capitaux à l’intérieur de
l’Union, adoption d’une politique commerciale commune à l’égard du monde.
L’acte unique de 1985-1986 relance la dynamique d’intégration, après les
difficultés des années 1970. 27 pays forment l’UE en 2009. Les politiques
commerciales et agricoles sont communes.
Ces institutions loin de réduire la pauvreté,
fonctionnent dans le sens de l’aggraver. Tous ces différents rapports mis en
forme par elles, ne peuvent qu’être défavorables aux pays faibles du monde dans
la mesure où, étant incapables d’objecter, ils subissent passivement la loi du
plus fort. Par conséquent les Etats plus puissants et riches deviennent de plus en plus forts et
les Etats faibles et exploités deviennent de plus en plus pauvres. Partant de
ce constat, nous pouvons nous permettre de dire que la croissance économique
mondiale actuelle est loin d’améliorer la qualité de vie de tout homme. Cette
croissance ne profite qu’à certains pays et à quelques puissants de cette
planète.
Par
ailleurs, l’Etat occupe une place non négligeable dans cette vague de
mondialisation. Son rôle n’est pas à ignorer lorsqu’il s’agit de parler des
acteurs de ce phénomène. Il est vrai qu’avec ce processus de mondialisation,
l’Etat-nation voit ses prérogatives grignotées. En dépit de cela, l’Etat
demeure un acteur principal de l’ouverture au monde, de par sa mission qui est,
d’abord, celle de défendre l’intégrité
territoriale, ensuite, celle de définir et de mettre en œuvre une politique
économique cohérente, enfin, celle de participer à la négociation et à l’établissement
des règles qui régissent les différentes formes d’échanges internationaux.
I.3. Enjeux socio-économiques,
politiques et environnementaux de la mondialisation
I.3.1. Enjeux socio-économiques
Le
phénomène de la mondialisation a des répercussions positives et négatives sur
l’ensemble de la vie humaine. Il ne laisse rien sur son passage. A en croire
Amartya Sen, « à l’âge de la
mondialisation, aucune culture n’échappe à la menace. Mais personne ne peut
sérieusement y riposter en gelant le processus d’internationalisation du
commerce et de l’économie : les échanges et la division du travail se
déploient à l’échelle de la planète, une dynamique irrésistible, nourrie par
les avancées technologiques à grande diffusion, aiguise la concurrence »[25].
Cette globalisation présente, par ailleurs, des enjeux socio-économiques sur
lesquels il convient de nous atteler dans ce sous point. Nous allons procéder
en deux temps. Les enjeux sociaux constitueront le contenu du premier temps
alors que les enjeux économiques viendront en deuxième position.
I.3.1.1. Enjeux sociaux
Du
point de vue social, la mondialisation accuse quelques insuffisances notamment :
·
L’accès à l’eau potable pour tous et la
préservation de cette ressource essentielle nécessitent un investissement de
180 milliards de dollars par an, mais seulement 80 milliards sont disponibles[26].
Cette somme ne couvre pas le besoin en eau potable des plus démunis qui ne sont
pas à même de payer le prix du marché ;
·
Education : « l’accès à l’éducation reste également très
inégalitaire puisque, parmi le 20% de la population mondiale de plus de 15 ans
qui sont analphabètes, la presque totalité (98%) vit dans les pays en
développement. De plus on observe que cette population est, pour les deux
tiers, féminine ;»[27]
·
Scolarisation : « l’absence de scolarisation est étroitement
liée au fait que les enfants sont très tôt mis au travail. Selon l’OIT et
l’Unicef, 250 millions d’enfants dans le monde, âgés de 5 à 14 ans, soit 1
enfant sur 4 travaille. La proportion atteint 4 sur 10 en Afrique[28] » ;
·
La globalisation de l’économie de marché
après 1945 maintient, certes, une paix entre les grandes puissances de ce
monde, ou du moins les puissances occidentales, mais aboutit dans le même temps à la marchandisation des sociétés humaines
conjuguée à l’explosion des inégalités, l’homme lui-même devenant une
marchandise ;
·
Avec la globalisation, le monde devient
un village, une société unique et intégrée, fondée sur des modes de vie sociaux
et culturels standardisés. Ainsi le monde tend vers une culture universelle qui
nierait la spécificité de chaque pays et par conséquent violerait le droit de
jouir de sa propre culture ;
·
Alors que les entreprises privées et les
organisations intergouvernementales, internationales ou régionales s’imposent
dans la gestion des affaires, on voit se dessiner le risque que prévalent les
considérations économiques et financières sur les questions fondamentales
d’ordre social, sanitaire ou environnemental. En d’autres termes, les
considérations économiques prennent le pas sur les considérations politiques et
sociales ;
·
L’implantation des entreprises
multinationales, minières ou agricoles ne va pas sans la délocalisation des
peuples indigènes. Ceux-ci sont déplacés de leurs terres pour laisser aux
firmes l’occasion de les exploiter. D’où l’appauvrissement de ces peuples.
Remarquons
ici que, dans son approche par les « capabilités », Amartya Sen soutient
l’idée selon laquelle l’ouverture , seulement, des marchés nationaux aux
échanges économiques ne suffit par pour garantir un développement
épanouissant ; encore faut-il voir dans quelle mesure ces échanges
contribuent à l’amélioration du social. A lui en : « l’ouverture des marchés nationaux aux
échanges économiques ne suffit pas à expliquer le rythme soutenu du
développement. Celui-ci tient aussi à d’autres préconditions sociales :
réforme foncière, généralisation de l’éducation, amélioration du système de
santé. Dans ce cas précis, personne ne remet sérieusement en doute
l’enchaînement causal : ce sont bien les réformes sociales qui ont produit
des conséquences économiques favorables et non le contraire. Le marché prospère
sur les fondations du développement social. Quand cette strate est fragile,
(…), la dynamique du développement économique est singulièrement anémiée ».[29]
I.3.1.2. Enjeux économiques
Du
point de vue économique, on peut remarquer une évolution progressive et un
développement sans précédent des marchés financiers. Le Rapport du module environnement en fait échos. Il est noté dans
celui-ci que « les volumes et la diversité des instruments ont connu une forte
croissance sur des marchés internationaux[30] ».
Ce rapport soutient qu’il n’y a
aucun autre domaine où la mondialisation a autant progressé comme dans le
secteur financier. S’il en est ainsi, la question de savoir d’où provient la
mondialisation de l’économie se pose. Bernard Guillochon y répond en ces termes : « la mondialisation de l’économie provient des
comportements des producteurs qui recherchent les meilleures conditions de
valorisation de leur capital, ce qui peut les conduire à trouver des débouchés
sur le marché mondial et à utiliser les biens étrangers et/ou la main-d’œuvre
étrangère[31] ».
Cette mondialisation de
l’économie présente quelques défis à savoir :
·
L’ouverture et le travail non qualifié
du Nord : le progrès technique
constitue une source de sous-emploi dans la mesure où les machines remplacent
les hommes ;
·
Une guerre mondiale financière dont les
champs de bataille se trouvent dans des salles de marché. En effet, ne
recourant plus aux armes de destruction massive, les puissances mondiales
essaient de lutter contre la crise financière en donnant l’illusion de gérer
leurs intérêts que leurs difficultés réelles selon un modèle de gouvernance
économique et financière qui n’intègre que leurs semblables. C’est le cas des
critères économiques pour appartenir au G8 et au G20. Cette attitude accentue
les inégalités entre les sociétés humaines, et surtout celles entre le Nord et
le Sud ;
·
Une croissance exponentielle des
inégalités des revenus entre les salariés, les actionnaires, les dirigeants,
les fournisseurs bien dans les petites entreprises que dans les
multinationales ;
·
Avec la libéralisation des échanges, on
assiste au phénomène de la délocalisation. En effet, les multinationales
délocalisent leurs activités dans les pays qui leur offrent de meilleurs
avantages comparatifs. Cela signifie, pratiquement, des salaires plus bas pour
les travailleurs, droit du travail moins strict, des conditions de travail plus
flexibles, un droit environnemental inexistant ou non appliqué, des impôts
réduits et des charges sociales allégées. Cela signifie également l’absence
d’assurance chômage, de sécurité sociale, etc. Ainsi, non seulement les droits
de l’homme, dans ces circonstances, sont les premières victimes de ces pratiques,
mais aussi et surtout, les droits économiques et sociaux des travailleurs dans
les pays d’accueil. Ces derniers sont confrontés à des conditions sociales et
économiques difficiles et ont besoin de faire recours aux investissements
étrangers pour réactiver leurs économies déjà fragilisées ;
·
Beaucoup de gouvernements et parlements,
surtout des pays pauvres, s’endettent. Cet endettement, quelque fois élevé,
limite considérablement leurs possibilités d’action politique ;
·
Les crises des pays endettés ou les
crises monétaires internationales entraînent
des coûts économiques et sociaux élevés pour certains pays et leurs
habitants. D’où l’on peut assister à la réduction à néant des progrès de
développement accomplis au prix d’un dur labeur, par la spéculation.
I.3.2. Enjeux politiques
Le
phénomène de la mondialisation fait croître, dans la conjoncture actuelle,
l’interdépendance entre les Etats. Ainsi, toute action que peut mener un
gouvernement quelconque peut avoir des répercussions sur les autres Etats du
monde ; d’où l’importance de créer les institutions régulatrices
efficaces, aussi bien au niveau national qu’international, avec pour objectif
de contrôler ces interactions. Cette gouvernance mondiale peut, cependant,
avoir des fâcheuses conséquences si elle n’est pas bien orchestrée.
En
plus, la réduction de la souveraineté de l’Etat peut être constatée. Avec la
mondialisation, les gouvernements perdent de plus en plus la maîtrise des
décisions clés qui touchent leur économie et par conséquent, le bien-être de
leurs populations. Par contre, les compagnies multinationales les plus
puissantes, les structures intergouvernementales et les institutions
financières privées possèdent une influence croissante et tendent à remplacer
des gouvernements. De là, on peut
comprendre pourquoi la souveraineté des Etats diminue fortement. Ainsi les rôles traditionnels sont à redéfinir.
Au
surplus, les gouvernements, les institutions et les autorités bancaires
nationales se voient petit à petit perdre leur mission traditionnelle qui est
celle de décider de l’avenir de leurs pays et de leurs peuples. En effet,
tandis que les actions et les décisions de ces institutions sont contrôlées,
puisque issues de la volonté générale, celles des entreprises multinationales
ou des institutions internationales ou régionales ne le sont pas. Par exemple,
s’agissant de violations de droits de l’homme, il est presque impossible
d’engager leur responsabilité et de contrôler leurs initiatives. En outre, le
manque de transparence des mécanismes de prise de décisions peut être remis en
question dans beaucoup de ces instances internationales. C’est le cas, par
exemple, de l’OMC où les décisions se prennent à huis-clos après des processus
complexes de négociations informelles ou formelles.
S’agissant
de la démocratie, par exemple, Amartya Sen souligne le fait que le débat sur
celle-ci se trouve, en nos jours, intimement lié au problème de la culture qui
s’exacerbe de plus en plus. « Il
s’agit de l’écrasante hégémonie de la culture et des modes de vie occidentaux
qui sapent les mœurs et les coutumes traditionnelles. Quiconque prête la
moindre attention à la valeur des traditions et à la diversité des cultures est
à même de saisir cette menace sérieuse ».[32]
I.3.3. Enjeux environnementaux
La
cause de la dégradation de l’environnement est souvent attribuée au phénomène
de la mondialisation. Entendue comme internationalisation des échanges, la
mondialisation présente deux impacts environnementaux qu’il convient de
souligner. Il s’agit d’une part, du phénomène de « dumping »
environnementale qui correspond aux déplacements des industries les plus
polluantes vers des pays aux normes environnementales plus souples, sinon
inexistantes. Ce déplacement pourrait avoir des graves conséquences pour
l’environnement de ces pays ; et d’autre part, de l’ouverture économique
entraînée par la forte croissance générée par la mondialisation. Cette
ouverture implique une intensification des productions des usines les plus
polluantes, et par conséquent le rejet des matières polluantes plus massives[33].
Hubert Reeves fait sien le problème de souillure de la planète. A l’en croire,
« cette réalité de la souillure de
la planète est particulièrement présente, ces temps-ci, devant les images des
plages couvertes de pétrole visqueux
et d’oiseaux englués, provoqué par l’interminable succession de naufrages de
bateaux pourris. Comme les nettoyeurs des plages avec leurs pelles, nous sommes
en effet confrontés à l’échelle de la planète à une tâche véritablement
titanesque. Tout au long du XXe siècle, l’homme a accumulé une quantité
d’ordures d’une dangerosité infiniment supérieure à celles qu’il avait générées
au cours de son histoire multimillénaire »[34].
A
part ces ordures, Hubert Reeves souligne l’effet négatif des armes sur
l’environnement. A ce sujet il
écrit : « à part toutes les
pollutions déjà évoquées, déchets industriels, agricoles et ménagers, (…) il
faut ajouter les stocks d’armes terriblement destructrices qui se sont
accumulées, surtout pendant la Seconde Guerre Mondiale »[35]. Pour lui, « les stocks d’armes sont une source
importante de pollution et un énorme danger potentiel, même lorsqu’on n’entend
plus les utiliser. Prenons l’exemple des mines antipersonnel. Les premières
mines, qui étaient véritables bombes enterrées, ont été utilisées par
l’Angleterre au XVè siècle à la bataille d’Azincourt (1415), puis de façon plus
systématique au XXè siècle au cours de la guerre civile américaine. Lors de la
Seconde Guerre mondiale, plus de trois cents millions de mines antichars furent
déployées par les belligérants. Mais ces mines avaient
l’inconvénient d’être facilement transportables et réutilisables par
l’ennemi. Pour éviter que les hommes ne viennent les déplacer, on fabriqua de
petites mines antipersonnel que l’on déploya autour des mines antichars. Par la
suite, leur fonction militaire a été détournée pour les utiliser contre les
populations civiles. Comme elles sont bien camouflées et restent actives
pendant plus de soixante-quinze ans, elles continuent, même en temps de paix, à
mutiler et à tuer des civiles. On a calculé qu’à travers le monde les mines
antipersonnel font une victime toutes les vingt minutes ! Il en aurait
cent dix millions déployées dans plus de soixante-dix pays»[36].
Dieu seul sait combien de mines antipersonnel ont été déployées dans l’Est de
la RDC où les guerres répétitives ont élu domicile ces dernières
décennies ! « Outre les
conséquences dramatiques pour les humains, les mines constituent un désastre
économique et écologique. Quand les contenants se détériorent, des substances
hautement toxiques se répandent dans le sol, polluant les campagnes sur
d’immenses surfaces »[37].
S’il en est ainsi, pourquoi continuer à en fabriquer au lieu de déminer les
régions qui ont déjà été infectées ? l’esprit du capitalisme égoïste
motive les industries qui fabriquent ces mines antipersonnel. Hubert Reeves en
donne des raisons en ces termes : « une
petite mine antipersonnel coûte en moyenne 3 dollars à fabriquer, entre 300 et
1000 dollars à repérer, à extraire et à détruire. Quant aux prothèses
artificielles dont il faut équiper les dizaines de milliers de survivants,
elles coûtent entre 100 et 3000 dollars et doivent être remplacées tous les
cinq ans pour un adulte et tous les six mois pour un enfant ».[38]
Par
ailleurs, deux enjeux majeurs sur le plan environnemental méritent une
attention particulière.
·
Le réchauffement du climat se
trouve être le principal enjeu environnemental du XXIème siècle. La question de l’émission de gaz
toxique est liée au réchauffement du climat dont les conséquences constituent
une menace grave à l’équilibre du globe. Les émissions de gaz dues aux
transports, aux activités industrielles et ménagères (CO2, méthane, oxydes
d’azote) présentent un risque, d’après les scientifiques, d’un réchauffement de la terre de plusieurs degrés durant le
XXIème siècle. On assiste déjà à des signes avant coureurs à cette catastrophe
comme les inondations, les sécheresses, les tempêtes que connaissent les
régions situées sur les littoraux. Pour tenter de palier ce problème, il a été
organisé des sommets en ce sens. En 1992 est organisé le Sommet de la Terre.
Autrement appelé La convention de Rio, ce sommet s’est fixé pour objectif de
stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un
niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système
climatique. Le protocole de Kyoto, signé en 1997, vise la réduction collective
des gaz à effet de serre de 5,2% par rapport aux niveaux précédents, surtout celui de 1990, avant 2012. Selon les
dispositions de ce protocole, les Etats-Unis devraient réduire leurs émissions
de 26% par rapport aux prévisions d’alors pour 2010, l’Union Européenne de 15%
et le Japon de 12%[39]. Une
autre conférence s’est tenue à La Haye et avait pour objectif de parvenir à un
accord sur les moyens acceptables de réduction des émissions, et en particulier
sur les plus controversés d’entre eux : les permis d’émission dénoncés le
plus souvent comme « un droit à polluer ».
·
Désertification et biodiversité : le problème de la
désertification est lié au réchauffement du climat et aux activités de
déforestation et de surpâturage. D’orès et déjà, on assiste à la progression de
la désertification des terres arables en Afrique noire. En effet, l’épuisement
des terres suscite de nouveaux déboisements et l’abondance de troupeaux
finissent par assécher les points d’eau, donc les sols.
La
mondialisation n’accuse pas que des effets négatifs. Elle a aussi des effets
positifs qu’il convient de souligner.
Primo,
avec ce phénomène la citoyenneté est redéfinie. Une nouvelle dimension de la
citoyenneté émerge. Il s’agit de la citoyenneté mondiale. Cette nouvelle
citoyenneté allie le concept traditionnel de citoyenneté à l’exercice des
droits politiques et juridiques ou à des
obligations comme le vote. En effet, être un citoyen mondial aujourd’hui exige
d’être davantage critique des produits
consommés et des conditions de leur production, d’être plus conscient des
questions mondiales comme la pauvreté, qui accable le monde, les problèmes
environnementaux ou la violence.
Secundo,
nous assistons à la croissance sans précédent de la mobilité et à
l’accélération des communications. En effet, en dépit du fossé technologique
qui se creuse entre les nantis et les démunis, l’une des conséquences positives
de l’ouverture des frontières et du développement d’Internet et d’autres
technologies. Il est devenu de plus en plus facile de voyager d’un pays à
l’autre ou de communiquer à travers le monde. La mondialisation nous offre,
donc, une occasion de partager et d’apprendre les uns des autres les cultures,
en acquérant davantage la tolérance et le respect.
Tertio,
l’ouverture graduelle des frontières
facilite le développement et la mise en œuvre des systèmes juridiques
transnationaux et régionaux pour la protection des droits de l’homme et la
réparation de leurs violations.
Il
serait trop prétendre de vouloir tout dire sur le phénomène de la
mondialisation, étant donné que ce phénomène continue sa course. Il progresse
du fait des voyages, du commerce, des multiples migrations, de l’expansion des
cultures, de la propagation du savoir et des découvertes. La mondialisation,
bien qu’elle ne profite qu’à une poignée d’habitants, rend riche la planète du
point de vue scientifique, culturel et économique. D’ailleurs, en réagissant
contre le mouvement antimondialiste, Amartya Sen donne dix arguments pour
défendre la cause de la mondialisation. Il s’agit de :
« 1.
Les manifestations contre la mondialisation ne sont pas dirigées contre la
mondialisation. Leurs participants, dans l’ensemble, peuvent difficilement
s’opposer au système quand leur contestation compte parmi les événements les
plus mondialisés du monde contemporain. Les protestataires de Seattle,
Melbourne, Prague, du Québec et d’ailleurs ne sont pas des gosses du coin, mais
des hommes et des femmes venus de la terre entière, qui investissent ces divers
lieux pour y exposer des griefs d’ordre mondial ;
2. La mondialisation
n’est pas un phénomène nouveau pas plus qu’elle n’est une simple
occidentalisation. Pendant des milliers d’années, la mondialisation a progressé
du fait des voyages, du commerce, des migrations, de l’expansion des cultures,
de la propagation du savoir et des découvertes (y compris dans la science et la
technologie). Les influences ont joué dans diverses directions. Ainsi, vers la
fin du millénaire qui vient de s’achever, le mouvement s’est en grande partie
opéré à partir de l’Occident, mais à ses débuts (aux environs de l’an 1000),
l’Europe s’imprégnait de la science et de la technologie chinoise, des
mathématiques indiennes et arabes. Il existe un héritage mondial de
l’interaction, et les mouvements contemporains s’inscrivent dans cette
histoire ;
3. La mondialisation
n’est pas en soi une folie. Elle a enrichi la planète du point de vue
scientifique et culturel, profité à beaucoup sur le plan économique aussi. Il y
a quelques siècles à peine, la pauvreté et une vie ‘’misérable, bestiale et
brève’’, comme l’écrivait Thomas Hobbes, dominaient le monde, à l’exception de
rares poches d’abondance. En maîtrisant cette pénurie, la technologie moderne
de même que les échanges économiques ont eu leur importance. Les situations
précaires ne peuvent s’inverser si les plus démunis sont privés des bienfaits
considérables de la technologie contemporaine, de la solide efficacité du
commerce et des échanges internationaux enfin des avantages sociaux autant
qu’économiques à vivre dans une répartition plus équitable des fruits de la
mondialisation ;
4. Directement ou
indirectement, la question essentielle est celle des inégalités. La principale
provocation, d’une manière ou d’une autre, leur est imputable, inégalités entre
les nations de même qu’en leur sein. Au nombre de ces inégalités, les disparités
de richesses, mais également les énormes déséquilibres dans le pouvoir
politique, économique et social. Un des problèmes cruciaux est celui du partage
des bénéfices potentiels de la mondialisation, entre pays riches et pauvres,
mais aussi entre les divers groupes humains à l’intérieur des nations ;
5. La préoccupation majeure est le
niveau d’ensemble des inégalités, et non pas leur changement marginal. En
affirmant que les riches s’enrichissent et que les pauvres s’appauvrissent, les
opposants à la mondialisation ne livrent pas, le plus souvent, le bon combat.
Car même si beaucoup des pauvres de l’économie mondiale s’en sortent mal (pour
toutes sortes de raisons, parmi lesquelles l’organisation intérieure autant
qu’internationale), il est difficile de dégager avec netteté une tendance
générale. Beaucoup dépend des indicateurs choisis et des variables par rapport
auxquelles les inégalités et la pauvreté sont jugées. Mais ce débat ne doit pas
être une condition préalable au traitement de la question centrale. La
préoccupation première est celle du niveau d’ensemble des inégalités et de la
pauvreté, et non le fait qu’elles augmentent ou non à la marge aussi.
Même si les défenseurs de l’ordre
économique contemporain avaient raison de prétendre que la situation des
déshérités s’est, d’une manière générale, un peu améliorée (ce n’est, de fait,
en aucun cas un phénomène uniforme), la nécessité logique de porter une
immédiate et entière attention à l’effroyable pauvreté et aux inégalités
consternantes n’en existerait pas moins ;
6. La question ne se résume pas à
savoir s’il y a profit pour tous les intéressés, mais si la répartition de ce
profit est équitable. Lorsqu’il existe des avantages à coopérer, toutes sortes
d’aménagements sont possibles qui bénéficient à chacune des parties, comparés à
une coopération inexistante. Il faut donc se demander si la répartition des
profits est juste ou acceptable, et non uniquement s’il y a profit pour tous
les intéressés (ce qui peut être le cas dans un très grand nombre d’aménagement).
Comme
le mathématicien et théoricien du jeu, J.F. Nash, en débattait il y a plus d’un
demi-siècle (…) en présence de profits issus d’une coopération, la question
essentielle n’est pas de savoir si tel ou tel résultat commun est pour tous préférable
à une absence de coopération(…) mais s’il engendre une équitable répartition
des bénéfices.
Pour prendre une comparaison, si
l’on veut faire la preuve qu’une organisation de la famille particulièrement
inégale et sexiste est injuste, il n’est pas nécessaire de montrer que la
condition des femmes aurait été meilleure hors de la famille, mais simplement que la
répartition des bienfaits du système est gravement inégalitaire et inéquitable
dans la situation actuelle ;
7. L’économie de marché est comparable
avec un grand nombre de situations institutionnelles différentes, pouvant
déboucher sur des issues différentes. La question essentielle ne peut pas être
celle de savoir si l’on doit pratiquer ou non l’économie de marché. Une
économie prospère est impossible sans son application à grande échelle. Mais
cette idée ne clôt pas le débat, elle ne fait que l’entamer.
L’économie de marché peut donner
des résultats très variables, selon la manière dont sont répartis les moyens
matériels et exploitées les ressources humaines, selon les règles du jeu qui
prévalent, etc. Or dans tous les domaines, l’Etat et la société ont un rôle à
jouer, à l’intérieur des pays comme dans le monde. Le marché est une
institution parmi d’autres. Hormis la nécessité de définir au sein d’une
économie une politique nationale en faveur des pauvres (enseignement
élémentaire et soins de santé, création d’emplois, réformes agraires, facilités
de crédit, protection légale, émancipation des femmes, et autres), la
répartition des bénéfices des échanges internationaux dépend aussi des divers
aménagements sur le plan mondial (accords commerciaux, législation des brevets,
initiatives médicales, échanges dans l’enseignement, encouragement à la
circulation de la technologie, politiques écologiques et de l’environnement,
etc.) ;
8. Le monde a changé depuis les
accords de Bretton Woods. L’organisation politique, financière et économique au
niveau international que nous avons héritée du passé (dont la Banque mondiale,
le FMI et autres institutions) s’est en grande partie construite dans les
années 1940, à la suite de la conférence de Bretton Woods de 1940. L’essentiel
de l’Asie et de l’Afrique se trouvait alors toujours sous domination
impérialiste ; la tolérance à l’insécurité et à la pauvreté était beaucoup
plus grande ; la défense des droits
de l’homme encore très fragile ; le pouvoir des Organisations non
gouvernementales inexistant ; l’environnement jugé comme n’étant pas
spécialement important ; et la démocratie absolument pas considérée comme
un droit international ;
9. Des changements à la fois
politiques et institutionnels sont nécessaires. Les institutions
internationales existantes ont, à des degrés divers, tenté de répondre à une
situation devenue différente. La Banque mondiale a, par exemple, révisé ses
priorités sous la conduite de James Wolfensohn. Les Nations Unies, notamment
avec Kofi Annan, ont cherché à jouer un plus grand rôle en dépit des
restrictions financières. Mais d’autres changements sont indispensables. En
réalité, la structure du pouvoir qui sous-tend l’organisation des institutions
doit elle aussi, être réexaminée par rapport à la réalité politique nouvelle,
dont la montée de la contestation antimondialiste n’est qu’une lointaine
expression.
L’équilibre du pouvoir, reflet de
la situation des années 1940, est aussi à repenser. Considérons le problème des
années des conflits, des guerres locales et des dépenses d’armement. Les
gouvernements des pays du Tiers-monde portant une lourde responsabilité dans la
poursuite immodérée de la violence et du gaspillage, mais le commerce des armes
est également encouragé par les puissances mondiales, qui sont le plus souvent
à l’origine de ces exportations. De fait, comme le montrait le rapport sur le
développement humain du PNUD de 1994, non seulement les cinq grands pays
exportateurs d’armes étaient précisément les cinq membres permanents du Conseil
de sécurité de l’ONU, mais ensemble ils représentaient aussi 86% de toutes les
exportations d’armes conventionnelles durant la période étudiée.
Il est facile d’expliquer
l’impuissance des pouvoirs en place à efficacement venir à bout de ces
marchands de mort. Les récentes difficultés à trouver ne serait-ce qu’un
soutien pour prendre conjointement des mesures sévères contre les armes
illicites (…) n’est qu’un tout petit exemple de l’immense obstacle mis à
l’équilibre mondial du pouvoir ;
10. Construire la mondialisation
est la réponse indispensable aux doutes sur la mondialisation. Les
manifestations hostiles font elles-mêmes partie du processus global pour lequel
il n’y a pas d’échappatoire, et guère de motifs d’en chercher. Mais si l’on a
raison de soutenir la mondialisation dans ce qu’elle a de meilleur, il est des
questions politiques et institutionnelles extrêmement importantes auxquelles il faut aussi
s’atteler dans le même temps. Il n’est pas aisé de dissiper les doutes si l’on
ne s’en prend pas sérieusement aux préoccupations qui les motivent en
profondeur. Cela, dans tous les cas, n’a rien pour surprendre. »[40]
Le
phénomène de la mondialisation accentue, par ailleurs, davantage la
polarisation du monde entre les pays pauvres et les pays riches. Ainsi les
pauvres deviennent de plus en plus pauvres et les riches toujours plus riches.
Fondés sur des critères purement économique,
les acteurs de ce phénomène accordent
moins d’attention à la situation sociale de l’homme. D’où la nécessité
d’établir une véritable coopération internationale et de définir des normes
communes entre les différents acteurs.
En
plus, le progrès économique que procure ce phénomène, bien qu’opéré par
l’homme, ne concoure pas nécessairement à son épanouissement. L’homme ne vit pas selon ce qu’il désire mais
selon les critères qui lui sont imposés par les plus puissants qui dominent
économiquement la scène mondiale. D’ailleurs, un dicton populaire dit que la
main qui reçoit est toujours en dessous de celle qui donne ! En d’autres
termes, loin d’améliorer les conditions de vie de tout homme, la croissance
économique que connaît le monde actuel dégrade la qualité de vie des personnes.
Bref, il est question du développement par l’homme et non pour l’homme !
Amartya
Sen, dans son approche par les « capabilités », voit le développement
en termes d’un nouveau visage humain, visage que les philosophes libéraux ont
altéré. Il s’agit du développement humain qui augmente les libertés de
personnes comme moyen et fin de celui-ci. Ce type de développement vise le bien-être de toute personne. Il
élargit les choix et les possibilités de toute personne de mener une vie conforme à ses attentes. C’est un
développement qui, politiquement, vise l’autonomisation, la durabilité,
l’équité et la productivité. C’est sur ce type de développement conçu comme
épanouissement que va s’atteler notre réflexion dans le chapitre suivant en analysant
l’approche par les « capabilités » d’Amartya Sen. A travers ce
deuxième chapitre nous tenterons de répondre à la préoccupation de
l‘établissement des conditions de possibilités de l’amélioration de la qualité
de vie de tout homme.
DEUXIÈME CHAPITRE : DE
L’ « APPROCHE PAR LES CAPABILITÉS »
Le
chapitre précédent s’est focalisé sur l’analyse du phénomène de la
mondialisation. Bien que facteur de la croissance économique sur le plan
mondial, ce processus d’internationalisation du commerce et de l’économie ne
garantit pas effectivement le développement humain. D’où la nécessité de lui
ajouter un élément essentiel à savoir la
liberté. L’approche par les « capabilités » répond à cette préoccupation.
A travers elle, Amartya Sen entend envisager un espace d’évaluation dans lequel
le bien-être individuel n’est plus mesuré par l’utilité mais par la capacité et
la possibilité qu’ont les personnes de choisir le type de vie qu’elles
souhaitent mener.
Trois
points vont scander notre réflexion pour ce chapitre. Le premier se focalisera
sur les facteurs du sous-développement. Le deuxième se cantonnera sur l’idée du
développement compris comme expansion des libertés substantielles. Le
troisième, enfin, se recentrera autour la question de l’évaluation du bien-être
individuel.
II.1. Des facteurs du
sous-développement
Parler
de facteurs de sous-développement suppose au préalable la compréhension du
concept de développement. En effet, ce
dernier prête à une multitude de sens. « Bon nombre d’auteurs le comprennent comme un niveau de vie stable
conséquent à une grande production des biens matériels due à une forte
industrialisation »[41].
Ainsi comprise, la notion du développement se trouve liée à celle du progrès
entendu comme expansion économique et technologique. Cette acception du
développement réduit l’homme à son unique aspect matériel, son avoir.
D’autres
penseurs, comme Lalaye, entendent par développement une extension, un
déploiement ou une croissance progressive d’un corps dans l’espace d’une
réalité, de toute réalité allant ainsi d’un degré d’être donné à un autre degré
ou niveau de réalisation ontologique. Cette conception pose l’urgence qu’impose
le caractère inachevable du progrès humain qui se rattache à la science et à la
technologie. En plus, elle révèle que le développement est plus qu’une notion
économique et traduit d’autres aspects de l’accomplissement intégral de la
personne humaine[42].
Amartya
Sen pense quant à lui que définir le développement comme croissance du produit
national brut (PNB), augmentation des
revenus, l’industrialisation et le progrès technologique ou encore comme
modernisation sociale réduit le sens de celui-ci. Car la croissance du PNB ou
des revenus ne constitue pas le seul moyen d’étendre les libertés dont
jouissent les membres d’une société. Encore faut-il y ajouter les dispositions
économiques ou sociales, les libertés politiques et civiques. La liberté
humaine, pour lui, peut également être étendue par l’industrialisation, le
progrès technique ou les avancés sociales. Ainsi, dans son approche par les
« capabilités », il appréhende le développement « comme un processus d’expansion des libertés
réelles dont jouissent les individus »[43].
Bref, le développement est compris, dans cette approche, comme liberté.
Le
processus d’expansion des libertés se trouve parfois entravé ou bute à des
problèmes de différents genres. Ces obstacles constituent des privations de la
liberté que l’auteur nomme le déni des libertés qui sont à la base de la misère
dans le monde. Ils prennent leurs racines dans la pauvreté économique qui « frustre les individus de la liberté
d’échapper à la faim et à la malnutrition, de se procurer les remèdes existant
pour se soigner, de se vêtir ou de se loger décemment, d’accéder à l’eau
potable ou aux installations sanitaires »[44].
Puisqu’il en est ainsi, le besoin de lutter contre ce déni de liberté s’avère
d’une importance capitale. « Le
développement exige la suppression des principaux facteurs qui s’opposent aux
libertés : la pauvreté aussi bien que la tyrannie, l’absence
d’opportunités économiques comme les conditions sociales précaires,
l’inexistence de services publics autant que l’intolérance ou la répression
systématique exercée par les Etats autoritaires »[45].
Déni de liberté peut également signifier facteur de sous-développement. D’où la
nécessité d’en faire l’analyse dans les lignes qui suivent.
II.1.1. Facteurs
lointains
Il
s’agit des facteurs liés à la colonisation. Remarquons, de prime abord, que le
problème de sous-développement porte une importante charge émotionnelle
touchant à la fois aux modèles politiques, à des questions historiques
sensibles et aux susceptibilités nationales telles que la question de la
souveraineté nationale et celle de l’adéquation des traditions et mentalités.[46]
Du
point de vue de la colonisation, il existe d’une part, les pays colonisateurs
et colonisés avant la première révolution industrielle, d’autre part, des pays
colonisés entre la révolution industrielle et la veille de la seconde Guerre
mondiale. Le phénomène de la colonisation est à la base de la répartition
géographique des pays développés et en développement. Avec l’invention de la
machine à vapeur, le coût du transport a baissé, favorisant ainsi l’importation
des matières premières en métropole pour créer des ateliers. De ce fait, le
développement du marché intérieur des pays colonisateurs a profité d’une main
d’œuvre colonisée à très bas coût. A partir de ce moment, il y a eu coupure de
diffusion de la technologie vers les pays colonisés. Il n’y a pas eu donc, d’un
côté, transfert de technologie par les pays colonisateurs et, de l’autre, les
pays colonisés ne sont pas approprié celle-ci.
En
plus, le sous-développement de certains pays peut s’expliquer par une
orientation industrielle et agricole inadaptée[47]. En
effet, à partir de la révolution industrielle, la transformation de la matière
s’est développée dans les pays colonisateurs, tandis que la production des pays
colonisés a été favorisée essentiellement dans le secteur primaire par l’octroi
de marché réserve chez les colonisateurs. Or, l’exploitation des matières
premières, si elle est une source de revenus pour le pays, peut paradoxalement
concourir à son appauvrissement si elle n’est pas payée à un prix juste. Durant
la colonisation, certains pays sont passés d’une agriculture traditionnelle à
des cultures de rente, comme le coton, le café, le cacao ou l’arachide. D’une
part cela a mis en danger la sécurité alimentaire des pays colonisés ;
d’autre part, les productions agricoles destinées à être vendues sur le marché
mondial, sans sécurité des revenus en raison de la fluctuation des cours
mondiaux, sont également source de vulnérabilité au niveau des productions et
de l’Etat.
Au
surplus, la colonisation semble avoir été indifférente à l’émergence de la
démocratie. « D’une part le régime
colonial, même pratiqué par une démocratie libérale, n’a pas inculqué de valeurs démocratiques à
ses habitants, et d’autre part il n’a que rarement favorisé l’éducation et
l’apparition d’une élite intellectuelle capable de diriger »[48].
Dans certains cas, les puissances coloniales ont joué sur les dissensions
interethniques ou interreligieuses pour assoir leur pouvoir. Elles se sont
fondées sur le principe : « diviser pour bien régner ». Le cas
de la colonisation de l’Inde par l’Angleterre en est ici une illustration.
Cette colonisation a conduit à la séparation de l’Inde et du Pakistan après la
décolonisation.[49]
Fort est de constater que lorsqu’il y a décolonisation par une guerre des
régimes autoritaires succèdent souvent, directement ou après une transition
démocratique, au régime colonial. Lorsqu’elle se fait par accord, les pays sont
découpés sans tenir compte des ethnies ni des traditions, donnant ainsi des
pays aux frontières rectilignes sans unité culturelle, et aux ressources
réparties d’une manière aléatoire.
Un
autre facteur du sous-développement est l’explosion démographique. En effet,
pendant qu’on assiste à l’amélioration des conditions de santé, notamment par de
multiples vaccinations, certaines familles continuent à avoir autant d’enfants
alors que le taux de mortalité baisse sensiblement. Cette attitude provoque une
croissance démographique rapide qui, si elle se prolonge longtemps, peut
contribuer à freiner le développement.
Le
néocolonialisme, enfin, peut être source du sous-développement dans la mesure
où les pays développés, membres de l’Organisation des Nations Unies, octroient
des aides financières et militaires aux régimes dictatoriaux dans le but d’y garantir
leur accès aux ressources minières et pétrolières. L’aide au développement des
Etats est souvent davantage répartie selon des critères politiques que selon
les considérations humaines. Au
néocolonialisme s’ajoute la Guerre froide, avec la constitution de
« glacis stratégique », la création de bases militaires et des coups
d’Etat soutenus par les deux grands blocs. Bref, certains pays colonisateurs
gardent une main mise sur l’économie de leurs anciennes colonies. Ceux-là
soutiennent des régimes dictatoriaux, aident les Etats suivant un critérium
plus politico-économique qu’humain.
II.1.2. Facteurs
internes
Ce
sont des facteurs qui causent la dégradation de la qualité de la vie et des
libertés individuelles à l’intérieur d’un Etat. Ces facteurs, pour Amartya Sen,
constituent les formes du déni de liberté. Trois facteurs seront ici
examinés : la mauvaise gouvernance, la corruption, l’atrophie du système
judiciaire et des politiques économiques.
II.1.2.1. La mauvaise
gouvernance
Par
gouvernance, il faut entendre le moyen qu’utilise une organisation sociale pour
conduire la population au bonheur, à la réalisation des projets. Elle permet à
la politique d’atteindre sa finalité ultime notamment la justice, l’égalité et
le bonheur. Ces trois éléments sont des conditions nécessaires pour la paix et
le développement. Le concept « bonne gouvernance » et « mauvaise
gouvernance » tient son origine aux Etats-Unis. C’est dans les années 1990
dans le discours de Bill Clinton en visite en Ouganda en 1998 que ce terme fut
pour la première fois prononcé[50]. Il
ressort des écrits du philosophe indien l’idée qui fait correspondre une
mauvaise gouvernance à un système politique qui ne garantit pas les libertés
substantielles. Il s’agit des régimes qui ne favorisent ou mieux encore,
n’autorisent pas la participation directe ou indirecte de tous à la gestion de
la « res publica ».
En
effet, le débat sur cette forme de gouvernance remonte dans les années 80,
période pendant laquelle les critiques intérieures sur les causes du
sous-développement ont connu leur essor dans le sillage du renouveau des idées
économiques libérales. Cette critique s’appuyait sur l’action des régimes des
pays en voie de développement, généralement inspirés par des exemples
d’économie dirigée ou des régimes socialistes[51]. Une
telle critique avait fait écho, avant cette période, à cause de la proximité
avec la période de décolonisation : critiquer les erreurs politiques
intérieures peut être assimilé à l’ingérence dans les affaires d’un pays
souverain. Dans les années 70, une part du sous-développement est masquée par
la flambée des prix des matières premières que
de pays sous-développés ont produit. En peu de mot, la mauvaise
gouvernance est généralement la première cause du sous-développement d’un pays.
Les symptômes sont :
·
Intérêts personnels privilégiés et fait
de prince ;
·
Incompétence administrative ;
·
Administration tatillonne et
bureaucratique ;
·
Développement de réseaux de corruption
et détournement de l’argent public ;
·
Dépenses d’infrastructures délaissées au
profit de dépenses de fonctionnement ou d’apparat ;
·
Mobilisation des ressources du pays dans
la construction d’éléphants blancs ;
·
Mauvais choix stratégiques de
développement et surendettement ;
·
Insécurité des investisseurs ;
·
Insécurité alimentaire ;
·
Maintien d’un analphabétisme élevé, qui
limite le désir de révolte face à une administration incompétente.[52]
Tous
ces symptômes conduisent à des formes multiples de déni de libertés à travers
la famine, le chômage, l’accès limité à la santé, aux installations sanitaires
et à l’eau potable, la discrimination sexuelle ou la restriction de libertés
des femmes, le non-respect des libertés politiques et des droits civiques. A en
croire le philosophe indien,
«La famine frappe encore certaines zones du
globe, déniant à des millions de personnes le simple droit à la survie. Dans
les pays qui ont jugulé ce fléau, poursuit-il, la malnutrition affecte toujours les couches les plus vulnérables. Une
proportion encore plus importante de la population ne bénéficie que d’un accès
limité à la santé, aux installations sanitaires et à l’eau potable ; elle
connaît des conditions d’existence précaires, marquées, en particulier, par un
taux de mortalité infantile élevé. Trop souvent, ajoute-t-il, dans les pays riches, malgré une couverture
médicale et un système éducatif généralisés, les catégories les plus
désavantagées passent entre les mailles du filet. Elles sont exclues du monde
du travail et des formes minimales de sécurité économique ou sociale. On
constate d’ailleurs que dans les pays les plus riches, l’espérance de vie de
certains secteurs de la population s’aligne sur celle des pays pauvres du
Tiers-Monde. Par ailleurs, des millions de femmes souffrent et parfois meurent
du fait de discriminations sexuelles ou de restrictions de leurs libertés »[53].
Ce
qui précède illustre l’idée selon laquelle les conséquences néfastes du
phénomène de la mondialisation ne concernent pas uniquement les pays pauvres.
Les pays riches en souffrent également d’une manière ou d’une autre en ce
sens qu’il existe plusieurs formes de
privations chez-eux aussi.
Remarquons
donc que les gouvernements engloutis dans la mauvaise gouvernance ne s’en
reconnaissent pas acteurs. Ils s’estiment, par contre, bons gestionnaires de la
chose publique. Aussi faut-il souligner que la mauvaise gouvernance est la
cible des bailleurs internationaux tels que le FMI, la Banque mondiale, qui
cherchent à imposer une conception néolibérale.
II.1.2.2. La corruption
La
corruption est un facteur du sous-développement dans la mesure où il existe une
forte corrélation entre le niveau de développement et le niveau de corruption.
Selon « Transparency International »[54], la
corruption peut être classée en trois groupes :
·
La corruption anecdotique. C’est le cas
des pays développés où la corruption en vue d’obtenir un passe-droit reste
anecdotique dans la vie économique; la récente crise des subprimes, le rôle
croissant des paradis fiscaux, la forte dépendance des médias à l’égard de la
publicité et donc des groupes
industriels et financiers qui les contrôlent souvent directement amènent à
nuancer pour beaucoup d’observateurs cette idée reçue ;
·
La corruption pour obtenir un
passe-droit. Dans beaucoup de pays en développement, un système de corruption,
renchérissant les coûts de l’investissement, est mis en place en vue d’obtenir
des passe-droits auprès d’administrations bureaucratiques et tatillonnes ;
·
La corruption pour obtenir un droit.
Dans certains pays pas moins avancés, on observe un système poussé de
corruption en vue d’obtenir n’importe quel droit (papier de l’administration,
retrait postal, sortie de marchandises du port, soins à l’hôpital, etc.) Ce
système pénalise les entreprises de la zone en renchérissant leurs coûts, ce
qui dégrade leur compétitivité. Elles n’ont aucun moyen de la contourner et la
corruption devient une sorte d’ « impôt » privatisé prélevé par les
fonctionnaires pour leur compte. Les élites dirigeantes, bénéficiant en général
de ce système, ne le combattent pas, voire l’encouragent parfois pour obtenir
la paix sociale chez les fonctionnaires.
Amartya
Sen propose aux pays en voie de développement de ne pas se limiter aux seules
vertus de la prudence. Ils doivent également combattre la généralisation de la
corruption, cultiver les valeurs fondamentales, telles que la confiance, et
faire en sorte que la garantie de la parole donnée s’impose sans nécessité,
sauf cas d’exception, de recourir aux sanctions légales s’ils veulent tirer le
meilleur parti du mécanisme de marché et ainsi faciliter les échanges et les
transactions.[55]
L’état
du système judiciaire est un point central du développement. En effet,
l’investissement de capitaux étrangers dans un pays est fortement lié à la
sécurité juridique de cet investissement. Les investisseurs ayant une aversion
au risque privilégient toujours, à coût égal, le système juridique le plus
fiable.
La
présence d’un système judiciaire prémunit également contre le « fait du
prince ». L’histoire de l’Afrique montre, en effet, que nombreuses
sociétés du Nord qui avaient investi en ce continent se sont vu confisquer
leurs investissements par des gouvernements africains sans pouvoir obtenir de
justes réparations pour leurs préjudices devant le juge. L’exemple de France
Télécom en Centrafrique ou au Gabon illustre ce propos. Ayant démontré aux
investisseurs l’absence d’ « Etat de droit », ces Etats africains
sont aujourd’hui boudés par les détenteurs
des capitaux dans les secteurs où la rentabilité ne compense pas le
risque pris.
II.1.2.4. Les
politiques économiques
Dans
l’ «approche par les capabilités » Amartya Sen démontre que les
régimes autoritaires ne favorisent pas la croissance économique. Il montre que
le développement ne peut bénéficier plus d’un environnement économique ouvert
que d’un système politique rigide. La sécurité économique, au fait, est une dimension
du développement. Elle ne peut être assurée, selon le philosophe indien, que
par un régime démocratique. Quel que soit le pays où l’on se trouve « la privation des droits démocratiques
entrave les initiatives des individus jusque dans leur vie quotidienne et tient
à l’écart des décisions importantes concernant la vie publique »[57].
L’absence de liberté et de droits économiques influe ainsi sur la sécurité
économique. « Le libre
fonctionnement de la démocratie, ajoute Sen, peut contribuer à évier les famines ou d’autres catastrophes
économiques »[58].
Aussi poursuit-il que « dans la
mesure où les classes dirigeantes ne sont guère affectées par la famine et les
autres calamités, rien ne pousse les gouvernements autoritaires à se préoccuper
de ces fléaux, en temps voulu. Dans les régimes démocratiques, à l’inverse, la
survie politique dépend des revirements de l’opinion, et cela constitue, pour
les élus, une forte incitation à mettre en œuvre des mesures préventives
efficaces. »[59]
En
un mot, pour Amartya Sen, seul le régime démocratique favorise le développement
économique, car il inclut en son sein les conditions de possibilité de
l’ouverture économique garantissant la sécurité économique. Le régime dictatorial,
par contre, constitue une entrave au développement et par conséquent, devient
facteur de sous-développement. Le fait que la famine n’a affecté en aucun cas de pays en régime
démocratique dans l’Histoire illustre,
d’après Amartya Sen, ce qui vient d’être mentionné précédemment. Et c’est le
cas des régions développées aussi bien que celles relativement pauvres.
II.1.3. Facteurs
culturels
La
rencontre entre la mondialisation et des cultures traditionnelles ne va pas
sans problèmes. La résistance de celles-ci contre celle-là peut entraîner un
retard dans le progrès. Malheureusement, à l’époque de la mondialisation,
aucune culture n’est laissée en marge. On assiste ainsi à un choc provoquant
des frustrations. A en croire Amartya Sen, « la dissolution des modes de vie usuels est source d’angoisse et de
frustrations. La perte est comparable à ce que peut représenter l’extinction
d’une espèce animale, condamnée à laisser sa niche écologique à une variété
concurrente, mieux adaptée, et cette ‘’amélioration’’, au sens darwinien, ne
saurait d’aucune manière suffire à notre consolation »[60]
Il
est ici question du rapport entre les cultures et le développement. Par culture
nous entendons l’ensemble de religion, mentalités et structures sociales qui,
dans le choix, ne font pas participer l’ensemble de ses membres. La donne est
de savoir en quelle mesure ces instances
constituent un frein au processus du développement. En effet, le sous-développement
de certaines régions du globe a longtemps été attribué par l’Occident à des
causes culturelles. Cette approche établit un lien essentiel entre culture et
développement. Fondée sur les idées du sociologue Max Weber (1864-1920 ;
dans son ouvrage L’Ethique protestante et
l’esprit du capitalisme, paru entre 1904-1905) et de l’historien David
Landes, ce courant de pensée attribue à la culture et aux mentalités
européennes le développement économique tout en estimant que les autres
cultures ne parviennent pas à un même résultat. Cette thèse est considérée
comme le noyau de l’européocentrisme.[61]
Sous
l’angle des traditions nul n’a besoin de constater la différence entre pays
développés et pays en voie de développement. Pendant que les pays développés à
forte productivité bénéficiant d’un niveau de vie élevé mettent en œuvre une
sécurité sociale, les pays en développement appliquent la solidarité entre
individus. Dans les pays développés la sécurité sociale est une forme
d’entraide obligatoire en cas de maladie, d’accident ou pour la vieillesse.
C’est une solidarité d’Etat. Dans les pays en développement, la solidarité est liée
au bon sens. Ainsi l’intégration sociale constitue une nécessité rattachée à la
survie. Dans ces sociétés les personnes âgées sont un modèle puisqu’ayant
survécu. En tant que facteurs d’intégration au groupe et modèle à suivre, les
traditions occupent une place centrale dans les pays en développement.
Cependant, leur perpétuation peut entraîner l’immobilité de la société et par
conséquent, le sous-développement à partir du moment où les mentalités
s’adaptent difficilement à l’évolution de l’environnement économique et social
du moment. Dans ce cas, un changement de mentalité ne pourra se faire à
l’échelle d’une génération. Il en faudra donc plusieurs pour que l’adaptation
des mentalités ait lieu.
Deux
tendances partagent l’idée selon laquelle la mentalité d’un peuple peut freiner
le développement de ce dernier. La première considère la mentalité globale
d’une société traditionnelle comme frein au développement. Dans ses
illustrations, Amarya Sen part de son pays l’Inde où la société est organisée
traditionnellement en castes. A chacune d’elle correspond un niveau social et
un type d’emploi traditionnel. Il est impensable, dans ce système, de changer
de caste. Naître est une fatalité. Etre né dans une basse caste paie le prix de
son mauvais comportement dans une vie antérieure. Une telle croyance freine la
volonté d’amélioration des conditions de vie, de se projeter vers un avenir meilleur. Ce
modèle fatal et cyclique peut constituer un facteur de sous-développement.
La
seconde tendance porte sur des éléments concrets des traditions sociales. Le
cas de Grande Comore où existe une tradition du grand mariage, illustre bien
cette tendance[62].
Dans ce pays, un homme doit organiser un grand mariage fastueux. Pour cela, il
doit épargner une grande partie de ses revenus en vue de ce grand mariage. La même
tradition veut que l’on ait une grande maison en dur. D’où la possibilité d’y
assister fréquemment à des fondations en attente de toit, pendant que la
famille vit dans des cases de tôle ou de bois avec des problèmes de salubrité
et de maladies liées à l’amplitude thermique. Pour améliorer l’habitat, une des
solutions serait de faire une petite pièce en entier conforme à l’argent dont
on dispose. Et construire une autre pièce attenante lorsqu’on disposera de
moyens suffisants. Mais hélas ! On se heurte au problème de mentalité.
Par
ailleurs, les traditions de mutilation sexuelle de nombreuses femmes dans certains pays (excision et
infibulation), et d’une manière générale la condition de la femme dans de
nombreuses sociétés ne favorisent pas l’épanouissement de la femme. Elles
portent atteinte à l’intégrité physique de celle-ci.
La
démographie peut, de son côté, freiner le processus de développement lorsqu’une
forte natalité pose le problème de répartition des richesses. Cela peut induire
un sentiment d’insécurité sociale. En effet, « en raison de la mortalité précoce et infantile, les familles des
sociétés ‘’traditionnelles’’ ont de nombreux enfants. Par ailleurs, en raison
d’absence d’un système d’assurance vieillesse, les enfants sont ceux qui vont
permettre aux parents de survivre lorsqu’ils ne pourront plus eux-mêmes
travailler. Le fort nombre de naissances est là pour compenser la forte
mortalité ; c’est ce que certains nomment ‘’l’équilibre de la
misère’’ »[63]. Au
fait, l’amélioration des conditions de santé et celle de la femme est à la base
de la baisse de la natalité dans les pays développés. Par contre, cette
amélioration sanitaire, loin de favoriser la baisse de natalité dans les pays
en développement implique un taux de croissance démographique rapide. Celle-ci
maintient ces pays dans un sous-développement.
La
dette[64]. Beaucoup
de pays en développement s’endettent auprès des institutions internationales,
notamment la Banque internationale pour la reconstruction et le développement
(Bird) et les Fonds monétaire international (FMI). Ces institutions sont nées
des accords de Bretton Woods après la Seconde Guerre Mondiale. Financés par les
pays développés, elles accordent des prêts aux pays en développement. Ces prêts
posent, cependant, trois problèmes majeurs pour les pays bénéficiaires. Le
premier est celui de leur utilisation. Dans certains cas, en effet, les actions
menées avec cet argent n’ont pas souvent d’efficacité en termes de
développement humain. Il sert à financer du matériel et des travaux vendus et
effectués par les pays développés, donc aux seules subventions des pays
développés à leurs propres entreprises. Le deuxième est celui des conditions
des prêts. La Bird et les FMI exigent souvent des réformes économiques de la
part des emprunteurs, pour garantir la solvabilité, sans prendre en compte les
répercussions sociales de ces réformes. Le troisième problème concerne la
constitution d’une dette. Les pays endettés ne travaillent que pour rembourser
des intérêts cumulés colossaux. Une partie importante de leurs revenus ne sert
qu’à cette fin. Ceci fait trainer ces pays dans la situation de dépendance.
La
guerre, par ailleurs, constitue l’un de plus grands facteurs du
sous-développement. Non seulement elle freine le développement économique d’un
Etat, mais aussi et surtout, traumatise le peuple, le meurtrit voire viole son
intégrité morale et physique. Parmi tant de pays où la guerre cause ou a causé
des dommages irréparables nous pouvons citer la République Démocratique du
Congo.
En
effet, les immenses richesses en
matières premières de ce‘’scandale
géologique’’ devraient entre autres,
lui permettre de sortir du sous-développement économique. Malheureusement
l’insécurité civile y a élu domicile, notamment à l’Est dans la région du lac
Kivu, en dépit de la présence d’une force des Nations unies, la MONUSCO.
Ce
qui précède prouve le fait que le phénomène de la mondialisation, dont la
guerre est l’un de facteur d’expansion, loin de concourir à l’amélioration de
la qualité de vie de tout être humain, où qu’il se trouve, contribue, en
quelques circonstances, à la dégradation du niveau de vie de la personne. D’où
il est impérieux de passer au crible de l’éthique les méthodes qu’utilise ce
phénomène dévastateur et destructeur de l’homme.
Parlant
de la culture et des traditions comme facteurs du sous-développement Amartya
Sen fonde son analyse sur deux points de vue. Le premier soutient que le
développement économique conduit à l’élimination des traditions et de
l’héritage culturel. Pour lui, cette conception du développement économique est
dangereuse. Ceux qui la soutiennent pensent qu’il vaut mieux être riche et
satisfait que pauvre et respectueux des traditions. Le second est un peu
modéré. Il pose, cependant, le problème de source de l’autorité et de la
légitimité lorsqu’il s’agit d’opérer un choix social. Cette tendance reconnaît
les limites des traditions où le monopole de choix est réservé à la seule élite
des ‘’gardiens’’ de la tradition (citons par exemple le cas des églises et des
coutumes). Pour cette approche, « s’il
est nécessaire de sacrifier un mode de vie traditionnel pour briser le carcan
de la pauvreté et allonger l’espérance de vie (plaies millénaires de nombreuses
sociétés), l’ensemble des populations directement concernées devrait participer
au processus de décision »[65]. De
ce point de vue ressort l’idée selon laquelle seule la démocratie garantit la
liberté de participation, liberté étouffée par plusieurs traditions et cultures
telles que les structures religieuses ainsi que coutumières. Amarya Sen ajoute que « les tentatives pour étouffer la liberté de participation au nom des
valeurs traditionnelles ignorent la simple notion de légitimité et le besoin,
pour les personnes de prendre part aux décisions concernant ce qu’elles
souhaitent et ce qu’elles ont raison d’accepter[66]. »
Pour ce faire, l’approche par les « capabilités » vise
l’épanouissement de l’homme. Elle implique non seulement les objectifs du
développement, mais aussi et surtout le processus ou les procédures à respecter[67].
Pour
clore ce point, remarquons que le développement, tel que conçu par Amartya Sen,
ne se limite pas au progrès économique relatif à l’industrialisation,
l’augmentation du revenu et à l’évolution du PNB. Il s’étend et dépend d’autres
dispositions relatives à la liberté. Le bon développement est celui qui
supprime la pauvreté et la tyrannie, deux fléaux qui constituent les causes des
privations des libertés. Dans cette perspective, Sen prouve le fait que le déni
de liberté est assez fréquent dans le monde entier. Qu’il s’agisse des pays
riches ou de pays pauvres, ce déni se présente de différentes formes. Sur le
plan social, la famine, la malnutrition, le manque d’eau potable, peuvent être
soulignés. Sur le plan politique ce déni se présente sous forme des dénis de droits
civiques, la dictature, le régime autoritaire, l’oppression d’expression. Sur
le plan économique ce déni touche l’aspect de la sécurité économique. Ce genre
de déni de liberté entrave le développement car il ne permet pas l’adhésion de
tout le monde dans le processus de décision. Les dénis de libertés sont,
d’après lui, des privations de « capabilités » de l’être humain.
Pour
démocratiser le développement, il propose la préservation des libertés
politiques, économiques et sociales. Cette préservation éviterait au monde
entier de sombrer dans des catastrophes qu’ont connues les régimes autoritaires
(telles que les famines en Ukraine (1930), en Chine (1958 et 1961), au Cambodge
(1930) ou dans les régimes militaires tels qu’en Ethiopie, Somalie, les pays de
Sahel dans le passé récent. Pour l’auteur, le sous-développement est perçu
comme non liberté et que le développement est un processus d’élimination des
non-libertés et d’extension des libertés substantielles. S’il en est ainsi,
quel est le fondement du développement entendu comme épanouissement ?
II.2.
Du « développement comme liberté »
Le
point précédent s’est focalisé sur les facteurs du sous-développement. Ce
dernier est compris par Amartya Sen comme déni de liberté. Le présent posera le
fondement du développement entendu comme épanouissement de la personne humaine.
La liberté y occupera une place de choix par son double caractère de moyen et
de fin du développement. Deux sous points vont scander ce point. Le premier
portera sur la question de la liberté comme moyen et fin du développement. La
distinction entre la liberté positive (Freedom to) de la liberté négative
(Freedom from) y sera également abordée. Le second s’attèlera sur les rôles de
la liberté dans le processus d’évaluation du développement.
II.2.1. De la liberté
comme fin et moyen du développement
Avant
de présenter la conception du développement comme liberté, Amartya Sen
distingue deux attitudes antinomiques à l’égard du processus de développement.
La première attitude entend par développement « un processus brutal, supposant beaucoup de ‘’sang, de sueur et de
larmes’’ »[68]. Le
slogan de cette approche est : « rigueur et discipline ».
Elle s’en tient sur les exigences du
moment. La seconde considère « que
le développement est un processus essentiellement compréhensif. »[69] Cette perspective comprend à son tour deux ramifications : celle
visant à promouvoir les échanges mutuellement bénéfiques et celle dont la visée
porte l’amélioration du fonctionnement des ‘’filets de sécurité’’ sociaux ou
sur l’établissement des libertés politiques, le développement social ou encore
sur la combinaison de deux ou plusieurs de ces paramètres. Cette tendance a des
affinités avec l’approche par les « capabilités » dans la mesure où
elle accorde de l’importance à la liberté et au développement social.
En
effet, Amartya Sen conçoit le développement comme un processus d’expansion de
libertés réelles des personnes. Il comprend par la liberté une fin et un moyen
du développement puisqu’elle joue un double rôle constitutif et instrumental
dans le processus de développement. Avant d’examiner ces deux rôles de la
liberté il est important de porter de la lumière sur ce que l’on entend de la
liberté positive et liberté négative.
II.2.1.1. Distinction
entre liberté négative et liberté positive
Les
libertés occupent la place centrale et constituent le cœur de l’approche du
développement défendue par Amartya Sen. En plaçant d’emblée la liberté au
centre de son analyse et en lui conférant un rôle primordial, l’auteur adhère à
l’idéal libéral du primat des libertés. Les philosophes libéraux mettent la
liberté au centre de leurs théories. Isaïah Berlin[70] fait
une distinction entre la conception négative et positive de la liberté. « La liberté négative est définie comme
l’absence d’obstacles ou de contraintes. ‘’Je suis normalement considéré comme
libre dans la mesure où aucun sujet, individuel ou collectif, n’interfère (de
manière délibérée) dans mon activité.»[71] En
d’autres termes, la liberté négative consiste en l’absence d’ingérence de la
part d’autrui dans la poursuite de ses propres fins. De ce fait, la liberté
politique désigne le champ au sein duquel une personne peut agir sans voir son
action obstruée par autrui.
La
liberté négative renvoie à l’idée de la sécurité individuelle. « Chacun doit pouvoir librement conduire ses
affaires en toute sécurité, il doit être libre de penser, de se déplacer ou de
s’associer. L’Etat est alors perçu, dans cette perspective, comme une ingérence
permanente. »[72] Pour
les libéraux, en effet, cette approche désigne la liberté par rapport au
contrôle, à la contrainte, aux restrictions et à l’ingérence de l’Etat. Dans
cette optique l’Etat ne devra s’occuper que de ses fonctions régaliennes de
sorte que la liberté se trouve réalisée de manière maximale à chaque instant
pour chaque citoyen.[73]
En
revanche, « la notion de la liberté positive met en avant la possibilité
d’agir dans la mesure où l’action est sous le contrôle de l’individu et répond
à certaines de ses fins fondamentales. »[74]
Ainsi comprise, la liberté « est
associée à l’idée de liberté comme puissance d’agir, c’est-à-dire d’être libéré
des contraintes internes et externes permettant d’acquérir une autonomie de
contrôle sur sa vie[75] ».
Etre libre positivement veut dire être en mesure d’accomplir ce qu’on a
rationnellement décidé d’accomplir. Le sens de la liberté positive naît du souhait
de l’individu d’être son propre maître. L’individu souhaite, en effet, être un
sujet et non un objet, être mû par des buts conscients qui lui sont propres, et
non par des causes externes qui pourraient l’affecter.
La
conception de la liberté positive inspire l’approche par les
« capabilités ». Celle-ci soutient que « l’individu doit pouvoir mener le type de vie qu’il souhaite dans le
cadre réglementaire pour le bien-être humain »[76]. S’il
en est ainsi, comment un pauvre peut-il exercer sa liberté positive ? Pour
Amartya Sen, « si l’on définit la
liberté positive comme ‘’liberté de mettre en œuvre diverses combinaisons de
fonctionnements’’, l’individu victime de privations est également victime d’un
déni de liberté positive »[77].
En
définitive, la liberté négative (Freedom from) c’est l’absence de toute
contrainte ; ce qui peut conduire au libertinage. La liberté positive
(Freedom to), par contre, est une liberté encadrée en vue de quelque chose
pouvant concourir au mieux-être. Qu’en est-il du rôle de la liberté dans le
processus de développement ?
II.2.2. Rôles de la
liberté dans le processus du développement
Comme
mentionné précédemment, l’approche du développement comme liberté a plus
d’affinité avec la perspective qui conçoit le développement comme un processus
essentiellement compréhensif dans la mesure où elle vise à améliorer le
fonctionnement des « filets de sécurité » sociaux ou à établir les
libertés politiques, le développement social, ou encore à combiner les deux ou
plusieurs de ces paramètres. Au fait, la notion de liberté, telle qu’entendue
dans l’approche du développement comme liberté, prend en compte aussi bien les
processus permettant l’exercice d’un libre choix dans l’action que les
possibilités réelles qui s’offrent aux personnes, compte tenu de conditions de
vie dans lesquelles elles évoluent[78].
En
effet, l’approche par les « capabilités » se fonde sur l’analyse du
développement envisagé comme un processus d’expansion des libertés réelles dont
peuvent jouir les personnes. L’attention se focalise ici sur les
« capabilités » (par ce concept il faut entendre la capacité et la
possibilité d’être ou de faire) dont jouissent les personnes pour diriger leur
vie comme elles l’entendent, c’est-à-dire en accord avec les valeurs qu’elles
respectent et qu’elles ont raison de respecter. De cette façon, l’expansion des
libertés constitue à la fois la fin première et le moyen principal du
développement. C’est ce qu’Amartya Sen appelle respectivement « rôle
constitutif » et « rôle instrumental » de la liberté dans le
processus de développement.[79]
II.2.2.1. Rôle
constitutif de la liberté
Le
rôle constitutif de la liberté concerne les libertés substantielles, éléments
indispensables à l’épanouissement des vies humaines. Par « libertés
substantielles », Amartya Sen entend l’ensemble des
« capabilités », élémentaires. Il s’agit de « la faculté
d’échapper à la famine, à la malnutrition, à la morbidité évitable et à la
mortalité prématurée, aussi bien que l’alphabétisation, de la participation
politique ouverte, de la libre expression, etc. »[80]
Partant du rôle constitutif, le développement se ramène à l’expansion des
libertés fondamentales. Ainsi le développement se veut un processus d’expansion
des libertés humaines. La raison d’évaluation est le fondement de ce rôle dans
la mesure où toute appréciation du développement, d’après Amartya Sen, doit
tenir compte des libertés humaines. Il s’agit, au fait, de l’évaluation du
succès d’une société par les libertés
substantielles dont jouissent ses membres. Contrairement aux autres approches
qui privilégient une base informationnelle (revenus et richesse) dans
l’évaluation du bien-être, l’approche par les « capabilités » fonde
son évaluation sur une base factuelle, centrée sur les libertés réelles, dont
les gens veulent, avec raison, bénéficier[81].
II.2.2.2. Rôle
instrumental de la liberté
Ce
rôle concerne la manière dont une grande variété de droits, de possibilités et
d’acquis contribuent à l’expansion de la liberté humaine en général et, par
conséquent à la promotion du développement. Alors que le rôle constitutif se
fonde sur la raison d’évaluation, le rôle instrumental se fonde sur la raison
d’effectivité. Il ne s’agit pas seulement de se servir de la liberté comme
critère d’évaluation du succès et de l’échec, mais aussi, de monter que la
liberté individuelle est un déterminant essentiel de l’initiative individuelle
et de l’effectivité sociale. D’où, l’individu, loin d’être considéré comme un
patient, est pris pour un agent actif, « une personne qui agit et modifie
l’état des choses et dont les résultats doivent être jugés selon les objectifs
et les valeurs explicitement formulés par cette personne ».[82]
En
effet, l’approche du développement comme liberté met l’accent sur le rôle
d’agent d’une personne considérée comme membre d’une collectivité et comme
intervenant sur la scène économique, sociale et politique, que ce soit par une
implication sur le marché ou une participation directe ou indirecte,
individuelle ou collective, dans la sphère politique ou à d’autres niveaux.[83]
Amartya
Sen élabore cinq libertés instrumentales fondamentales. Celles-ci contribuent,
de manière directe ou indirecte, à offrir aux personnes la latitude de vivre
conformément à leurs aspirations. Il s’agit de la liberté politique, les
facilités économiques, les opportunités sociales, les garanties de transparence
et de sécurité protectrice. Ces libertés sont complémentaires et contribuent
toutes à la capacité générale d’une personne de vivre plus librement.
·
Les libertés politiques. Elles incluent
les droits civiques. En effet, « l’ensemble
des possibilités offertes aux individus, de déterminer qui devrait gouverner et
selon quels principes, de contrôler et de critiquer les autorités, de
s’exprimer sans restrictions et de lire une presse non censurée, de choisir
entre des partis politiques que l’on associe au fonctionnement démocratique,
confrontation politique et dialogue, droit de vote et participation au
processus de sélection des corps législatifs et exécutifs sont compris sous
cette notion de libertés politiques »[84]
Bref, les libertés politiques constituent l’ensemble des libertés offertes aux
personnes de s’exprimer, de voter, de s’opposer ou de s’organiser en
association.
·
Les facilités économiques. Ce sont des
opportunités offertes aux personnes de faire usage des ressources économiques à
des fins de consommation, de production ou d’échanges. Amartya Sen pense que
« la marge de manœuvre économique
des personnes dépendra des ressources qu’elles possèdent ou de celles dont
elles peuvent disposer, aussi bien que des conditions de l’échange, telles que
les prix relatifs ou le fonctionnement des marchés. »[85]
L’élargissement équivalent des facilités économiques de la population traduit,
selon lui, l’accroissement du revenu et de la richesse d’un pays. Les facilités
que les agents économiques sont capables de s’assurer sont influencées par
l’accès au financement. D’où le rôle important des microcrédits octroyés aux
grandes entreprises ainsi qu’aux individus.
·
Les opportunités sociales. C’est
l’ensemble des services publics. Par opportunités sociales l’auteur entend les
dispositions prises par une société en faveur de l’éducation, de la santé ou
d’autres postes et qui accroissent la liberté substantielle qu’ont les
personnes de vivre mieux. « L’existence
de tels services modifie la qualité de vie individuelle (suivi médical,
prévention de la morbidité évitable et de la mortalité prématurée) et favorise
une participation plus effective aux
activités économiques et politiques ».[86]
L’auteur illustre ce qui précède par deux exemples. Le premier porte sur
l’analphabétisme qui est un facteur d’exclusion économique pour toutes les
activités dans lesquelles la production répond à des spécifications écrites ou
s’accompagne des stricts contrôles de qualité, situation qui se généralise dans
le cadre de la mondialisation.[87] Le
second exemple concerne la possibilité de lire la presse ou de communiquer par
écrit. Cette possibilité facilite la participation politique.
·
Les garanties de transparence. C’est la
confiance qui fonde le fonctionnement des sociétés. En effet, la notion de
garanties prend en compte l’exigence de non-duplicité, exigence présupposée
dans les relations sociales, c’est-à-dire la liberté de traiter, à quelque
niveau que ce soit, en respectant une garantie au moins implicite de clarté.[88] A
défaut de ces garanties de transparences, les personnes subissent dans leur
existence le contrecoup direct. Les garanties de transparence dont le droit de
divulgation, constituent, à l’en croire, une catégorie significative de la
liberté instrumentale. Elles jouent un rôle instrumental déterminant dans la
prévention de la corruption, de l’irresponsabilité financière et des ententes
illicites. Bref, ces garanties représentent la liberté de traiter dans les
relations sociales de façon claire et licite.
·
La sécurité protectrice. C’est
l’ensemble des libertés sociales accordées aux plus vulnérables afin de leur
éviter la mort. Elle sert, en effet, à fournir aux populations vulnérables un
« filet de protection » sociale afin qu’elles ne se trouvent, en
aucun cas, réduites à la misère voire, dans des situations extrêmes, à la
famine ou à la mort. Le domaine de la sécurité protectrice recouvre des
dispositions institutionnelles formalisées (allocations pour les sans-emplois,
compléments de revenus statutaires pour les indigents) et des capacités
d’interventions exceptionnelles (fonds de secours en cas de famine, ou
programmes de travaux publics destinés à fournir un revenu aux victimes des
crises).[89]
Somme
toute, l’analyse que fait Amartya Sen sur les libertés instrumentales comprend
la conception libérale de la société. Ces libertés permettent à l’individu
d’acquérir une autonomie et, une sphère privée non contrainte telles qu’elles
lui permettent de mettre en œuvre sa liberté d’agence. L’homme ne pourra
s’épanouir qu’à partir du moment où tout concoure au renforcement de ses
libertés et à leur expansion. A ce niveau de réflexion, il importe d’examiner,
dans le point suivant, la question de critères d’évaluation du bien-être d’une
personne.
II.3. De l’évaluation
du bien-être
La
liberté entendue comme moyen et fin du développement a constitué la pierre
angulaire du précédent point. Elle y a été présentée comme principe et
fondement d’une vie épanouie. Elle constitue une des conditions de possibilité
de l’amélioration de la qualité de vie humaine dans la mesure où elle permet à
la personne de mener une vie qu’elle juge rationnellement bonne. Le présent
point s’attèlera aux critères d’évaluation du bien-être des individus. Il
s’agit des critères de jugement pouvant permettre de dire que telle personne
est heureuse ou qu’elle mène une vie épanouie. Pour y arriver et afin de
mesurer la portée de la nouveauté, un regard sera porté sur les conceptions du
bien-être dans l’histoire. Trois d’entre elles retiendront notre attention. Il
s’agit de l’utilitarisme, de la conception des biens premiers de John Rawls et
de l’approche par les « capabilités ». Le choix porté sur ces trois
conceptions se justifie par le fait qu’elles nous donnent les critères
d’évaluation d’une société juste et par conséquent, d’une vie épanouie.
II.3.1. Approche
utilitariste
Comment
mesurer le niveau de vie d’une personne ? Répondre à cette question
revient à examiner la notion du bien-être individuel. En effet, le
bien-être signifie, du point de vue
sanitaire, comme un état de santé de la personne, sa bonne santé. Sur le plan
moral l’utilitarisme mesure le bien-être par l’utilité que procure une action.
Inaugurée par Jeremy Bentham, l’utilitarisme prend le bonheur ou le plaisir des
personnes en termes de niveau de revenus, de ressources ou de fortune. Sa base
d’information est la somme totale de l’utilité. Par base d’information, il faut
entendre l’ensemble des informations dont il est nécessaire de disposer pour
formuler un jugement conforme à cette démarche. Classiquement, « l’utilité
d’une personne représente une mesure de son plaisir ou de son bonheur. L’idée
est de prendre en compte le bien-être de chaque individu, bien-être considéré
avant tout comme une caractéristique mentale, c’est-à-dire en relation avec le
plaisir ou le bonheur qui en résulte »[90].
L’utilitarisme base son évaluation sur les seules utilités. Le sens qu’on
accorde à l’utilité a évolué dans l’histoire. L’utilitarisme classique la
définit par le plaisir, le bonheur ou la satisfaction. Toute chose est évaluée
à l’aune de ces catégories. La conception moderne conçoit l’utilité non en
termes de contentement, de plaisir ou de bonheur, mais en termes de
satisfaction d’un désir. L’utilité égale la satisfaction des désirs et des
préférences d’une personne.
Ces
deux moments dans la conception de l’utilitarisme se rencontrent dans
l’indifférence aux libertés et aux droits. L’utilitarisme classique prend en
compte toutes les données relatives au bonheur ou au plaisir des individus.
L’utilité est évaluée par la somme des plaisirs et des peines que procure une
action. Cette idée fonde la doctrine éthique de l’utilitarisme selon laquelle
une société juste est une société heureuse, car elle maximise le plaisir pour
ses membres. Elle propose de ne tenir compte que de seuls plaisirs et peines
pour juger de ce qui est juste ou bon. Par ce fait, elle s’émancipe de toute
conception morale et métaphysique du bonheur. L’utilité devient le seul critère
explicatif et normatif de toute action. L’utilité d’une personne représente
ainsi une mesure de son plaisir ou de son bonheur. La qualité d’une situation
dépendra donc de la somme des utilités personnelles qu’elle représente. Les
tenants de cette approche sont : Jeremy Bentham (initiateur), John Stuart
Mill, William Stanley Jevons, Henry Sidgwick, Francis Edgeworth, Alfred
Marshall et A.C. Pigou.[91]
Trois
principes résultent de la factorisation de l’utilitarisme. Ceux-ci en
constituent les facteurs. Il s’agit du « conséquentialisme »,
du « welfarisme » et du
classement après sommation.
Le
« conséquentialisme » soutient que tous les choix des actions, des
règles, des institutions, etc. doivent être jugés selon leurs conséquences,
c’est-à-dire en fonction des résultats qu’ils délivrent.[92] Autrement
dit, « la justesse des actions et,
plus généralement, du choix de toutes les variables de contrôle doit être jugée
entièrement d’après la qualité de la situation qui en résulte »[93].
Le
« welfarisme » ou théorie du bien-être restreint le jugement sur un
état de fait aux seules utilités dans leurs états respectifs, sans tenir compte
de données concernant la satisfaction ou la violation des droits, des
obligations etc.[94]
En d’autres mots, « la qualité des
situations doit être jugée entièrement en fonction de la qualité de l’ensemble
des utilités individuelles prévalant dans les situations respectives ».[95]
Le
« classement après sommation » exige que les utilités de différentes
personnes soient simplement additionnées pour obtenir leur mérite agrégé, sans
tenir compte de la distribution de ce total entre les individus. La somme des
utilités doit être maximisée indépendamment des inégalités dans la distribution
des utilités.[96]
Bref, « la qualité de n’importe quel ensemble d’utilités individuelles
doit être entièrement jugée en fonction de leur somme totale ».[97]
Ces
trois composantes se rencontrent sur un point : tout choix est jugé par la
somme d’utilités qu’il engendre.
Quels
mérites pouvons-nous accorder à l’utilitarisme ? Amartya Sen en retient
deux. « 1) la nécessité de prendre
en considération les résultats dans toute appréciation d’une situation sociale
(ne jamais négliger l’examen des conséquences, sans pour autant adhérer à un
conséquentialisme intégral) ; 2) l’exigence de prendre en compte le
bien-être des gens concernés, dans l’analyse d’une situation sociale et de ses
résultats (on ne saurait oublier cet impératif, même en refusant les critères
utilitaristes du bien-être, fondés sur l’utilité et les formalisations
mathématiques de la satisfaction mentale).»[98]
Quant
aux limites, Amartya Sen en mentionne trois découlant de sa base d’information
de laquelle la conception de justice ne résiste pas à l’analyse. Ces trois
inconvénients sont successivement l’indifférence distributionnelle, un total
désintérêt pour les droits, les libertés et autres questions liés à l’utilité,
et enfin, l’adaptation et le conditionnement mental. Au sujet de l’indifférence
distributionnelle, l’auteur remarque que « les calculs d’utilité tendent à ignorer les inégalités dans la
répartition du bonheur (seule compte la sommation des utilités, quel que soit
le mode de distribution). On est pourtant en droit de se soucier, au-delà du
bonheur général et des grandeurs agrégées, de l’étendue des inégalités dans la
distribution du bonheur. »[99]
Pour
ce qui concerne le total désintérêt pour les droits, les libertés et les autres
questions non liées à l’utilité, l’auteur pense que « l’approche utilitariste n’accorde pas aucune importance intrinsèque aux
revendications concernant les droits et les libertés (elles ne suscitent pas
qu’un intérêt indirect et dans la seule mesure où elles influencent les
utilités). La sensibilité au bonheur manifestée par l’utilitarisme est certes
méritoire, mais voulons-nous être des esclaves heureux, des vassaux sans
discernement ? »[100]
Quant
à l’adaptation et le conditionnement mental, Amartya Sen estime que « le point de vue utilitariste sur le
bien-être individuel manque de solidarité, puisqu’il est susceptible de varier
en fonction d’un conditionnement mental ou d’attitudes adaptatives ».[101]
En
définitive, le bonheur compris sous forme de satisfaction de désirs est un
critère trop superficiel pour évaluer le bien-être. Au fait, « le bien-être est enfin de compte une
question d’évaluation, et si le bonheur et la satisfaction des désirs comptent
certes beaucoup dans le bien-être d’une personne, ils ne peuvent pas, ni
séparément ni même ensemble, refléter correctement la valeur du bien-être. »[102]
Comme la thèse de l’utilité en tant que seule source de valeur repose sur
l’assimilation de l’utilité et du bien-être, deux raisons peuvent constituer la
critique de cette approche. Premièrement, le bien-être n’est pas la seule
valeur. Deuxièmement, l’utilité ne représente pas correctement le bien-être.
II.3.2. Approche par
les « biens premiers »
La théorie des « biens
premiers » est une théorie mise en place par le philosophe américain dans
son ouvrage Théorie de la Justice. Par « biens premiers » John Rawls
entend ce dont les citoyens en tant que personnes libres et égales ont
besoin et dont la revendication est justifiée. Il s’agit de tout ce que tout
homme rationnel est supposé désirer quels que soient ses autres désirs. Ainsi
distingue-t-il cinq « biens premiers » notamment les revenus et la
richesse, les droits et libertés de base, la liberté de circulation et la
liberté dans le choix d’une occupation, les pouvoirs et les prérogatives
afférant à certains emplois et positions de responsabilité et, les bases
sociales du respect de soi. « A) Les droits et libertés de base : la liberté de pensée, la liberté de
conscience, la liberté d’association et les libertés politiques. Les droits
politiques égaux et la liberté de pensée permettent aux citoyens de développer
et d’exercer les deux facultés morales ; à savoir, le sens du bien et le
sens de la justice, qui caractérisent les personnes libres et égales, dans
l’appréciation de la justice de la structure de base et de ses politiques
sociales. La liberté de conscience et la liberté d’association donnent aux
citoyens les moyens de développer et de réaliser leur conception du bien. Ces
droits et libertés de base ont le rôle de protéger et de garantir l’exercice de
deux facultés morales. En définitive, ces droits et libertés de base
permettent, d’une part, l’évaluation de la justice des institutions de base et
des politiques sociales ; et, d’autre part, l’exercice et le développement
de deux facultés morales.
B) La
liberté de mouvement et la liberté dans le choix d’une occupation entre des
possibilités variées. En
effet, en ce qui concerne la liberté dans le choix d’une occupation, il est
question du « libre choix d’une occupation dans le contexte social offrant
des possibilités diverses, possibilités permettant de chercher à réaliser une
variété de fins et de mettre en œuvre les décisions de révision et de
modification de ces fins ».[103]
C) Les pouvoirs et les prérogatives
afférant à certains emplois et positions de responsabilité dans les
institutions politiques et économiques de la structure de base.
D) « Le revenu et la richesse, considérés comme des moyens
polyvalents dont on a généralement besoin
pour réaliser une vaste gamme de fins, quelle que soit la nature de ces
fins.
E) Les
bases sociales du respect de soi-même, comprises comme les aspects des
institutions de base normalement essentiels pour que les citoyens aient un sens
aigu de leur valeur en tant que personnes, et qu’ils soient capables de
progresser dans leurs fins avec confiance. »[104]
La
théorie des « biens premiers » est un espace d’évaluation. Dans
celui-ci, le fait qu’aucune compensation ne soit permise entre les libertés
fondamentales et les gains économiques et sociaux permet d’éviter le problème
des ‘’goûts dispendieux’’. Elle est un espace adéquat pour les comparaisons
interpersonnelles du bien-être. De même, dans cet espace, les libertés réelles
et non formelles sont garanties.
Pour
Amartya Sen, cependant, la proposition rawlsienne d’égalité des biens premiers
demeure insuffisante d’autant plus qu’elle ne tient pas compte de la diversité
des individus et, en l’occurrence, de leur hétérogénéité dans l’usage qu’ils
peuvent faire de ces biens premiers. Ainsi pour réaliser un même état de
bien-être qu’une personne valide, un handicapé nécessite davantage de biens
premiers. Pourtant, aucune pertinence pour le principe de différence n’est en
vue.[105]
Amartya
Sen reproche donc à John Rawls son ‘’fétichisme des biens premiers’’,
c’est-à-dire de ne considérer que les ressources en biens premiers dont sont
dotés les individus sans prendre en compte la liberté que chacun a de les
utiliser en vue d’accomplir la vie qu’il souhaite.[106]
Tout
en reconnaissant que les revenus et les biens matériels constituent la base du
bien-être, le philosophe indien observe que l’usage que chacun peut tirer d’un
ensemble donné de biens matériels, ou, plus précisément, d’un niveau donné de
revenus dépend, de toute une série de circonstances contingentes liées à
l’individu ainsi qu’à la société. Il en identifie cinq sources distinctes de
variation entre revenus réels et les avantages, le bien-être et la liberté qu’on
peut en tirer.[107] Ces
cinq sources sont les suivantes :
« 1) Hétérogénéité des personnes. Les gens
sont dotés de caractéristiques physiques disparates, en relation avec l’âge, le
sexe, les infirmités ou les maladies. En conséquence, leurs besoins sont
divers. Un malade, par exemple, peut avoir besoin, pour accéder à un
traitement, d’un revenu plus élevé qu’une personne en bonne santé et, même en
bénéficiant des meilleurs remèdes, le malade ne jouit pas pour autant d’une
qualité de vie équivalente – à revenu égal – que la personne en bonne santé. Un
handicapé peut avoir besoin d’une prothèse, une personne âgée d’une aide
permanente, une femme enceinte de plus de nourriture, etc. La
« correction » nécessaire diffère selon la nature de chaque
désavantage et certains de ces derniers ne sont susceptibles d’aucune réelle
« compensation » même par transfert de revenus importants.
2) Diversité de l’environnement.
Les variations des conditions du milieu ; telles que les paramètres du
climat (amplitude des températures, pluviométrie, inondabilité et autres)
exercent une influence sur ce qu’une personne peut obtenir à partir d’un niveau
de revenu donné. La nécessité de se chauffer, de se couvrir dans les pays
froids crée des problèmes pour les plus pauvres que ne partagent pas leurs
équivalents dans les régions tropicales, par exemple. Le caractère endémique de
maladies infectieuses (malaria, choléra, sida), dans certaines zones, altère la
qualité de vie dont les habitants pourraient jouir. Il en va de même pour la
pollution ou d’autres problèmes d’environnement.
3) Disparités de l’environnement
social. La conversion du revenu individuel et des
ressources en qualité de vie est aussi influencée, en un lieu donné, par divers
éléments de la configuration sociale, tels que le développement de
l’enseignement public ou la prévalence de la criminalité et de la violence. Les
questions de santé publique ou de pollution relèvent de ce domaine, autant que
de l’environnement. Outre les services publics, la nature des relations
sociales joue un rôle déterminant(…).
4) Relativité des perspectives.
L’ensemble des biens nécessaires, correspondant à un comportement social donné,
peut varier d’une société à l’autre, en fonction des convictions et des usages.
Ainsi, un individu doté d’un statut relativement pauvre dans un pays riche
rencontre des obstacles insurmontables qui l’empêchent d’assumer certains
« fonctionnements » élémentaires (participer à la vie sociale, par
exemple) même si ses revenus, en termes absolus, sont de loin supérieurs au
niveau moyen qui permet aux individus de pays pauvres d’assumer ces mêmes
fonctionnements avec aisance. Par exemple, « faire face à un public sans
perdre ses moyens » suppose de se conformer à une norme vestimentaire et à
d’autres critères de consommation apparente beaucoup plus sophistiqués dans une
société développée (…). On rencontre la même variabilité si l’on examine le
montant des ressources personnelles nécessaires pour jouir d’une bonne estime
de soi. Ces variations entrent en ligne de compte, avant tout, à l’occasion de
comparaisons entre sociétés et non lors de comparaisons interindividuelles, au
sein d’une société, mais les deux aspects sont souvent liés.
5) Distribution au sein de la famille.
Les revenus acquis par un ou plusieurs de ses membres sont partagés entre tous.
La famille constitue donc l’unité de base dans tout examen du revenu, du point
de vue de son utilisation. Au sein d’une famille, le bien-être ou la liberté de
chaque individu dépend de la part du revenu qui lui est attribué dans la
poursuite de ses intérêts ou de ses objectifs. La distribution familiale du
revenu constitue un paramètre essentiel qui reflète le lien entre possibilités
et succès individuels, d’une part, et le niveau de revenu familial, de l’autre.
Les règles de répartition en usage dans une famille (liées, par exemple, à
l’âge, au sexe ou aux besoins admis) modifient, dans des proportions
significatives, les objectifs et la situation de chacun de ses membres. »[108]
L’approche
par « les biens premiers », en définitive, donne une base
d’évaluation d’une société juste, société qui garantit à tous une égalité de
chance. Mais elle n’est pas un critère idéal pour évaluer la qualité de vie que
mènent les membres d’une société sur le plan individuel. Car étant donné les
différentes variations qui influencent la relation entre revenu et bien-être,
l’idée d’opulence fournit, d’après Sen, un critère très limité pour juger la
qualité de vie individuelle. D’ailleurs, la théorie des « biens
premiers » ne donne pas les moyens dont pourront disposer les membres
d’une société pour convertir les biens premiers en fins. D’où la nécessité
d’une nouvelle approche qui mette au premier plan la liberté qu’ont les
personnes de mener une vie qu’elles souhaitent.
II.3.3. Approche par
les « capabilités »
Dans
les lignes précédentes nous avons abordé
l’approche utilitariste et celle des « biens premiers» comme
des critères d’évaluation du bien-être et de la justice sociale. Il convient en
présent d’examiner en quoi l’approche par les « capabilités » se veut
une alternative au « welfarisme » et à la théorie des « biens
premiers ». Il sera question de présenter d’abord le concept de « capabilité »,
ensuite l’élucidation de quelques
concepts clés de cette approche, enfin, la liberté comme responsabilité
sociale.
II.3.3.1. Du concept
« capabilié »
Amartya
Sen pense que l’approche utilitariste et celle des « biens premiers »
ne sont pas des critères idéaux dans la mesure du niveau de vie des personnes
voire de la justice sociale. D’où la nécessité d’une nouvelle approche visant à
prévenir et à combattre les injustices flagrantes dans les sociétés. Le but du
philosophe et économiste indien, à travers l’approche par les
« capabilités » n’est donc pas de construire un modèle théorique de société parfaitement
juste dans la ligne de John Rawls. En effet, pendant que l’approche
utilitariste et celle des « biens premiers » se concentrent sur les
moyens de mener une vie bonne, l’approche par les « capabilités »,
elle, constitue une voie nouvelle qui consiste à « s’attacher au mode de vie que les gens s’efforcent de mener (ou pour
aller plus loin, à la liberté mise en œuvre pour mener la vie que l’on a raison
de souhaiter) »[109]
Cette nouvelle approche se focalise non sur les biens mais sur les libertés qui
résultent de ces biens. En d’autres termes, alors que les utilitaristes fondent
leur démarche d’évaluation sur les utilités et Rawls sur les « biens
premiers », le philosophe indien la fonde sur le domaine pertinent qu’est
celui des libertés non formelles, les « capabilités », de choisir un
mode de vie que l’on a raison de souhaiter. Il s’agit donc de définir la
possibilité réelle d’un individu de poursuivre ses objectifs. D’où l’importance
de prendre en compte non seulement les biens premiers détenus par les
personnes, mais également les caractéristiques personnelles qui commandent la
conversion des biens premiers en facultés personnelle de favoriser ses fins.[110]
Au
fait, par « capabilités » Amartya Sen entend les libertés réelles de
mener la vie que l’on valorise. Ce concept permet de ne pas seulement
s’intéresser aux vies que les gens mènent, mais aussi, à la liberté réelle
qu’ils ont de choisir entre différentes façons de vivre. L’approche par les
« capabilités », du pont de vue politique, a pour objectif de
garantir à tous et à toutes les conditions nécessaires d’une vie réellement
autonome. Sous cet angle, cette approche comprend deux dimensions essentielles.
Il s’agit du pouvoir ou de la capacité d’agir (empowerment) et de la liberté ou
la possibilité de choix. Le pouvoir d’agir exige que les bénéficiaires des
politiques sociales disposent des effectifs de mener la vie de leur choix. La
liberté de choix, quant à elle, requiert que le choix soit réellement libre et
non pas imposé par les représentants des autorités publiques. D’après Amartya
Sen, la capacité d’action et la possibilité de choix vont de pair dans le sens
où développer les moyens d’action des personnes ne suffit pas. Ce serait, selon
lui, imposer des comportements ou des manières d’être spécifiques aux
gens ; encore faut-il leur garantir les moyens de choisir librement que
possible leur mode de vie.
Par
ailleurs, partant de la nécessité de créer les possibilités de conversion du
revenu et d’autres biens premiers en bien-vivre et en liberté individuelle,
l’approche par les « capabilités » considère la personne comme un
agent jouissant de la capacité d’être ou de la possibilité d’action, ayant des
buts à atteindre. Il ne faut plus donc percevoir les personnes comme de simples
réceptacles du bien-être en ignorant l’importance de leurs jugements et de
leurs priorités personnelles qui font d’elles des acteurs et des êtres humains
responsables. En faisant la distinction entre qualité d’agent et bien-être
d’une part, et liberté et accomplissement de l’autre, Amartya Sen aboutit à
quatre concepts différents qui permettent de mesurer les avantages que possède
une personne. Il s’agit du bien-être acquis, de ce que la personne accomplit en
sa qualité d’agent, de la liberté qu’elle a d’acquérir du bien-être et de sa
liberté d’action.
Que
favorise la conversion des revenus et d’autres « biens premiers » en
fins ? Amartya Sen établit trois types de conversion des ressources en
« capabiltés » ou en fins ou encore en libertés réelles :
·
Facteurs individuels : c’est
l’ensemble des caractéristiques, capacités ou compétences individuelles ;
·
Facteurs sociaux : c’est le
contexte social dans lequel évolue la personne ;
·
Facteurs environnementaux :
infrastructures appropriées en matière de conciliation de la vie privée et de
la vie professionnelle ; régulation adéquate du marché du travail afin de
garantir des emplois.
S’il
en est ainsi, avoir la liberté de mener la vie que l’on souhaite implique, pour
Amartya Sen, d’avoir accès à des opportunités de qualité sur le marché du
travail, dans le secteur public et associatif, ainsi que dans les autres
sphères de la vie, tels que les loisirs, la famille, les associations, etc.
Ainsi les dimensions du bien-être d’une personne sont la consommation, la
santé, l’éducation, le loisir, la participation, le lien social,
l’environnement, la sécurité et le revenu.
Avec l’approche par les
« capabilités », une nouvelle dimension est introduite dans les
critères pertinents pour mesurer le progrès économique et la justice sociale.
Il s’agit de la liberté qu’ont les gens de mener un style de vie de leur choix.
Cette nouvelle dimension exige qu’il ne faille pas confondre les fins et les moyens : ne pas prêter
aux revenus, à la prospérité, une importance intrinsèque, mais évaluer ces
derniers en fonction de ce qu’ils concourent à construire, en particulier des
vies dignes d’être vécues. Et s’agissant de la justice sociale, son évaluation
se fonde sur la « capabilité ». En effet, « les exigences des individus ne sont pas évaluées en fonction des
ressources ou des biens premiers qu’ils possèdent, mais d’après la liberté
qu’ils ont effectivement de choisir entre différents modes de vie auxquels ils
peuvent tenir ».[111]
Le concept « capabilité »
ainsi défini, il sied d’élucider ses concepts centraux à savoir ceux de
« fonctionnement » et de « caractéristique ».
II.3.3.2.
Fonctionnement et caractéristique
La
« caractéristique » d’un bien est un trait important de ce bien. Le
« fonctionnement » est, en revanche, un trait caractéristique de la
personne en relation avec le bien. Les fonctionnements de la personne reflètent
ainsi les caractéristiques de la personne : ce qu’elle fait ou est. Les
« capabilités » de fonctionner reflètent ce qu’une personne peut
faire ou peut être. Un fonctionnement, est par conséquent, une réalisation
tandis qu’une « capabilité » est une aptitude à la réalisation. En ce
sens, un fonctionnement est plus directement lié aux conditions de vie dans la
mesure où il constitue différents aspects des conditions de vie. Les
« capabilités », au contraire, sont des notions de liberté, dans le
sens positif : de quelles opportunités réelles disposent les personnes au
regard de la vie qu’elles peuvent mener. Ainsi Amartya Sen définit le bien-être
d’une personne comme la qualité de son existence.[112]
« Pour mener une vie épanouie toute personne doit effectuer un certain
nombre de fonctionnements. Dans ce cadre, les biens quels qu’ils soient, de
consommation comme de capital, ne sont utiles que par ce qu’ils permettent de
faire ou d’être, donc de faciliter les fonctionnements correspondants, ils
n’ont donc qu’un rôle instrumental. »[113]
Pour illustrer ce qui précède, Bertin donne l’exemple d’un morceau de pain. Ici
trois choses doivent être distinguées : le fait de posséder ce morceau de
pain, le fait de le manger et la satisfaction que l’on retire de sa
consommation. Le fonctionnement est ici le seul fait de manger ce morceau de
pain. Il est donc en soi différent de la possession et de la satisfaction
retirée. Par conséquent, un fonctionnement est à fois différent de posséder les
biens et de retirer une utilité de l’utilisation du bien. La thèse, c’est que
les fonctionnements sont constitutifs de l’existence de la personne et que,
l’évaluation de son bien-être doit nécessairement prendre la forme d’un
jugement sur ses composantes.[114]
Par
ailleurs, il existe dans l’approche par les « capabilités » une
distinction entre « caractéristiques personnelles et sociales. Par
caractéristiques personnelles, Amartya Sen entend ce qui différencie les
personnes entre elles de par leur âge, leur sexe, leur anthropométrie ou encore
leur aptitude intellectuelle…Ces caractéristiques influencent la conversion des
biens en fonctionnement par un individu. Les caractéristiques sociales sont les
contingences sociales qui favorisent la conversion des biens en
fonctionnements. Il s’agit de la nature des conventions sociales en vigueur
dans la société où vit la personne ; de la position de cette personne dans
cette société et dans sa famille ; de la présence ou non de cérémonies
religieuses, de festivités ; de la distance physique existant entre
l’individu, sa famille, ses amis et ses relations sociales. Ainsi, « l’utilisation qui sera faite des dotations
de l’individu dépendra directement de sa position sociale, mais également de sa
participation personnelle aux activités collectives de la société. Plus cet
individu sera enclin à prendre part à la vie de sa collectivité, meilleures
seront ses chances de conversion des biens en capacités puis en
fonctionnements. » [115]
Remarquons
que le philosophe indien ne présente pas une liste exhaustive de fonctionnement
nécessaire au bien-être (voir supra). Avec son approche, la pauvreté revêt un
nouveau visage. Pour certains, « être
pauvre signifie ne pas réaliser les capacités fondamentales ou ne pas pouvoir
avoir accès aux fonctionnements qu’ils considèrent comme absolument nécessaire
à la vie (on parle alors de fonctionnements fondamentaux, centraux ou
basiques). Par exemple, certains auteurs pensent que ‘’être correctement
nourri’’ est plus important dans le bien-être qu’ ‘’être correctement vêtu’’ »[116]
Pour Martha Nussbaum, poursuit Bertin, les fonctionnements fondamentaux sont
des capacités humaines centrales de fonctionnement. Ce sont :
·
La vie : être capable d’atteindre
un âge normal ;
·
La santé physique : être capable
d’avoir la santé permettant de se reproduire, être capable de se nourrir
décemment ;
·
L’intégrité physique : pouvoir se
déplacer correctement et librement d’un endroit à l’autre, pouvoir se protéger
des agressions physiques, posséder les opportunités sexuelles de pouvoir se
reproduire ;
·
Les sens : l’imagination et la
pensée, sens pour réaliser son bien-être, notamment grâce à l’éducation,
l’instruction culturelle, religieuse ou artistique ;
·
Les émotions : être capable de
s’attacher aux individus ou aux choses ;
·
La raison pratique : savoir être
capable de déterminer une conception du bien ou d’engager une réflexion
critique sur la manière de vivre de quelqu’un ;
·
L’affiliation : se sentir concerné
par les autres, par la vie en groupe, s’engager dans des relations
sociales ;
·
le respect des autres espèces qu’elles
soient animales, végétales ou minérales ;
·
le contrôle sur l’environnement
politique, matériel.[117]
Bref,
la conception des capacités fondamentales de Martha Nussbaum correspond aux
capacités innées et naturelles des individus, c’est-à-dire des caractéristiques
personnelles dans le langage senien.
Les
termes de fonctionnement ainsi que de caractéristique ayant été clarifiés, il
nous reste maintenant d’examiner la question de la liberté comme engagement
social.
II.3.3.3. De la
« liberté comme engagement social »
L’approche
par les « capabilités » met au centre la liberté substantielle comme
fin et moyen du développement. Cependant, une question se pose dans le domaine
du travail, celle de savoir s’il faut donner la priorité à l’efficacité ou aux
« capabilités » pour garantir la productivité. Pour Amartya Sen, il
faut accorder la priorité aux « capabilités », puisque si
l’efficacité veut dire la production et l’engagement dans le travail, les gens
ne peuvent produire ou s’engager s’ils ne sont pas capables de le faire. Et
comme on ne peut pas responsabiliser des personnes qui ne peuvent être
responsables, il s’ensuit que la responsabilité exige la liberté, la liberté de
pouvoir et de vouloir. C’est dans cette optique qu’Amartya Sen souligne
l’importance directe de la liberté sur le bien-être des gens et indirectement
sur le changement social. C’est dans la société que se forme la liberté
individuelle. Cette dernière, une fois formée, influera indirectement sur le
changement de cette même société.
La
notion de la responsabilité dépend de la jouissance d’un certain nombre de
libertés. La liberté et la responsabilité sont interdépendantes. « Entre liberté et responsabilité, la
relation fonctionne dans les deux sens. Sans la liberté substantielle, sans la
capacité d’entreprendre une action, une personne ne peut être tenue pour
responsable de cette action, hors de sa portée. En revanche, jouir de la
capacité, de la liberté d’accomplir quelque chose, impose à l’individu le
devoir de considérer s’il doit ou non passer à l’acte et cela met en jeu sa
responsabilité individuelle. En ce sens, la liberté est la condition nécessaire
et suffisante de la responsabilité. »[118] Par
ailleurs, « si l’on admet
l’importance du débat public dans la formation et l’utilisation de nos valeurs
sociales (…) les droits civiques et les libertés politiques apparaissent
indispensables à l’émergence des valeurs sociales. De ce fait, la liberté de
participer à l’élaboration critique et au processus de formation des valeurs
est l’une des libertés prééminentes de notre existence sociale. »[119]
Amartya
Sen soutient ainsi le fait que la responsabilité exige la liberté. Cette
responsabilité doit être formée par et dans la société. En effet, l’engagement
social en faveur de la liberté ne doit pas être, selon l’auteur, seulement
l’affaire de l’Etat. D’autres institutions, telles que les organisations non
gouvernementales, les institutions locales, les médias et tous les moyens
servant à la communication publique, ainsi que les structures qui permettent le
fonctionnement du marché et les relations contractuelles, peuvent en être
partie prenante.
La
promotion des libertés individuelles et l’engagement social favorisent le
processus de développement entendu comme épanouissement de l’homme. Sur le plan
philosophique, « une approche de la
justice et du développement fondée sur les libertés substantielles privilégie
le rôle d’agent et les jugements émis par les individus : on ne saurait
les appréhender comme des « patients » auxquels seront administrés
des bienfaits, grâce au processus de développement. Les adultes responsables
doivent prendre en charge leur propre bien-être, il leur revient de décider à
quelles fins ils souhaitent utiliser leurs capacités. Mais les capacités dont
jouit en pratique un individu (…) dépendent de la réalité sociale et de la
façon dont elle permet l’expression des libertés. De ce point de vue l’Etat et
la société ont des responsabilités à assumer. »[120]
Quelques
exemples que donne l’auteur illustrent bien l’idée selon laquelle l’Etat et la
société entière ont la responsabilité sur la formation effective de la liberté
individuelle. « Là où persiste le
travail servile, il est de la responsabilité de la société de mettre fin à
cette situation et de créer des conditions dans lesquelles la main d’œuvre
puisse librement accepter un autre emploi. De la même manière, les politiques
économiques devraient inclure au rang de leurs priorités la création d’emploi
sachant que les conditions d’existence élémentaires d’une immense majorité de
citoyens en dépendent. Comme il va de soi, lorsque les emplois existent, les
attitudes et les stratégies professionnelles de chacun relèvent alors de la
responsabilité individuelle. Dans le même ordre d’idées, si l’impossibilité
pour un enfant de bénéficier d’une éducation, ou pour une personne malade
d’accéder à des soins mettent en cause des responsabilités sociales ; la
façon dont les individus tirent part de leur formation scolaire ou de leur
santé relève de leur propre choix. Notons encore que la responsabilisation des
femmes, à travers l’accès à l’éducation, au travail, au droit de propriété,
etc., leur donne une grande liberté et, en conséquence, augmente leur influence
dans toute une répartition au sein du foyer (…) ou du taux de fertilité.
L’exercice de cette plus grande liberté est là encore du ressort de chacun. »[121]
Pourquoi
accorder une primauté aux libertés ? Amartya Sen pense qu’elle est à la
fois un processus et une possibilité. Ces deux aspects sont les deux raisons
qui justifient le primat de la liberté. Sous l’angle de processus, il soutient
que la participation aux décisions politiques et aux choix sociaux est un moyen
du développement en ce sens, non seulement qu’il contribue à la croissance
économique, mais aussi comme constitutif des fins du développement. Sous
l’angle de possibilité, il s’agit de la possibilité qu’ont les gens d’atteindre
les résultats qu’ils souhaitent et qu’ils ont raison de souhaiter. Ces deux
aspects (processus et possibilité) permettent, d’après le philosophe indien, à
l’approche par les « capabilités » de dépasser la perspective
traditionnelle du développement en termes de ‘’croissance de la production par
habitant’’.
Nous
ne pouvons conclure ce point sans pour autant souligner la nuance qu’Amartya
Sen fait entre le capital humain et la capacité humaine. Le capital humain, en
effet, privilégie la fonction d’agent des individus pour autant que celle-ci
favorise les possibilités productives. Il concerne la valeur indirecte,
c’est-à-dire les qualités humaines susceptibles d’être employées comme
‘’capital’’ dans la production. La capacité humaine, par contre, met l’accent
sur la faculté, c’est-à-dire la liberté substantielle, qu’ont les personnes de
vivre la vie qu’elles souhaitent et qu’elles ont raison de souhaiter et
l’amélioration des choix à leur disposition, pour y parvenir.[122]
En
définitive, remarquons qu’à travers l’approche par les
« capabilités » Amartya Sen se propose de défendre une approche du
développement entendu comme processus d’expansion des libertés substantielles
dont les gens disposent. Il utilise la perspective des libertés à la fois dans
l’analyse évaluationnelle, comme moyen
d’estimer le changement et dans l’analyse descriptive et prévisionnelle en
percevant la liberté comme facteur déterminant du changement. Le développement,
selon l’auteur, est un engagement qui va de pair avec la liberté.
Nous
inspirant de cette approche, nous corroborons avec l’auteur l’idée selon
laquelle le phénomène de la mondialisation est encore loin de garantir
l’épanouissement de tout homme. Car, cette écrasante hégémonie de la culture et
des modes de vie occidentaux sape les mœurs et les coutumes traditionnelles
surtout des pays du Tiers-monde. Au nom de l’épanouissement de l’homme et de
l’amélioration de sa qualité de vie, nous pensons qu’il est temps, et cela
s’avère impérieux, de passer au crible de l’éthique ce ‘’processus
d’internationalisation du commerce et de l’économie’’. C’est sur cette
tentative d’une éthique économique que s’attèlera le dernier chapitre du
présent travail.
TROISIÈME CHAPITRE : VERS UNE
ÉTHIQUE ÉCONOMIQUE PAR LES « CAPABILITÉS »
L’évolution
de la technologie s’est fondée sut le désir de l’homme de dominer la nature en
vue d’améliorer son sort. Cependant, ce progrès présente encore des effets
néfastes. Sur le plan humain citons la perte de l’emploi, d’où le taux élevé du
chômage, etc., et au niveau environnemental : la contamination chimique
des eaux, la salinisation du sol, le réchauffement climatique, etc. D’un côté,
les atteintes à la nature humaine, telle que la manipulation génétique, ont
motivé les hommes de science à penser une éthique de la vie appelée Bioéthique.
De l’autre côté, les dérives écologiques de ce progrès telles que le pillage
des réserves naturelles, la multiplication exponentielle de la population
mondiale sans, malheureusement, de nourriture suffisante ; les érosions
ainsi que le réchauffement climatique sont à la base du débat actuel sur le
développement durable. Par développement durable, il faut entendre un
développement qui permet à la génération présente de répondre aux besoins du
présent sans compromettre la capacité des
générations futures à répondre aux leurs.
La détérioration de la qualité de vie de
l’homme due à l’égoïsme capitaliste des entreprises, des institutions
économiques a poussé les philosophes à penser une science capable de proposer
des critères éthiques pouvant conduire les affaires. C’est l’éthique de
l’économique ou éco éthique. Notre présent chapitre porte sur cette
problématique en ce sens que, penser un développement qui vise l’épanouissement
de tout homme suppose avant tout de revisiter les modes d’emploi de l’économie
mondiale en vue d’y insérer les critères éthiques capables de régir le
comportement des parties prenantes du marché. L’efficacité de celui-ci sera
évaluée à partir des critères éthiques
fondés sur des principes d’économie qui favorisent la réconciliation de
l’économique, du social et du culturel.
Loin
de nous l’ambition de vouloir répondre à la question de savoir comment se
comporter dans les affaires. Cette préoccupation relève de la compétence des
sciences économiques. Notre esquisse se veut, par les
« capabilités », de passer au crible de l’éthique les activités
économique afin d’établir les conditions de l’amélioration de la qualité de vie
de l’ « homo oeconomicus ».
Trois
points vont scander notre réflexion dans ce chapitre. Le premier portera sur le
fondement de l’éthique de l’économie. Le mécanisme du marché et la question des
critères d’évaluation de l’efficacité y seront examinés. Le deuxième point
s’attèlera à la relation entre l’économie, l’éthique et la morale. La question
de différentes sortes d’économie et d’éthique y sera traitée. Parler de
l’éthique économique renvoie au comportement des acteurs économiques. Ces
derniers poursuivent un but qui est la croissance, par tout moyen, du profit de
leurs entreprises. C’est pour cette raison que nous nous proposerons d’examiner
la place qu’occupe la corruption dans les affaires. Le dernier point établira
le rapport entre la gouvernance
démocratique et la croissance économique.
III.1.
De l’éthique de l’économie
III.1.1. L’origine de
l’économie
L’approche
par les « capabilités » fait remonter la science économique à deux
origines : l’une éthique, l’autre mécanique. A en croire Amartya Sen,
« La tradition éthique remonte au
moins à Aristote. Au tout début de sont Ethique à Nicomaque, Aristote établit
un lien entre l’économie et les finalités humaines, évoquant le rapport de
l’économie à la richesse. Il considère la politique comme la ‘’première des
sciences’’. La politique doit utiliser ‘’les autres sciences’’, dont
l’économie, et ‘’puisque, là encore, elle détermine ce que nous devons faire et
ne pas faire, la fin de cette science doit inclure les finalités des autres
sciences, de sorte que cette fin doit être le bien de l’homme’’ ».[123] De
ce qui précède ressort l’idée que « l’éthique
a comme complément naturel la politique. L’homme, étant un être social, ne
trouvera son plein épanouissement que dans le milieu social. Là seulement, il
pourra réaliser la vertu et le bonheur en acte »[124]. En
effet, l’étude de l’économie fait appel à d’autres sciences telles que
l’éthique et la politique. Alors que la science économique consiste en la quête de la richesse, l’éthique et la
politique portent sur l’évaluation et la promotion des buts les plus
fondamentaux de la société. Aristote pense que la vie de l’homme d’affaires est
une contrainte et la richesse ne constitue aucunement le bien qu’il recherche
mais en est une chose utile, un moyen en vue d’une autre chose[125].
Ainsi l’économie se ramène à l’étude de l’éthique et de la politique. Remonter
l’origine de la science économique à la tradition éthique pose deux problèmes.
Le premier problème porte sur la question de la motivation humaine en rapport
avec la question morale « Comment doit-on vivre ? ». Amartya Sen
nomme ce problème ‘’la conception éthique de la motivation’’. Le second est
celui du jugement porté sur ce qui est accompli dans la société. L’auteur
appelle cette approche la ‘’conception éthique de l’accomplissement sociale’’[126].
Nous n’analyserons pas ici ces deux problèmes. Remarquons, cependant, que la
première origine de la science de l’économie est liée à l’éthique et à une
vision morale de la politique.
La
deuxième origine est celle que l‘auteur qualifie de conception ‘’mécaniste’’ de
l’économie. Celle-ci s’intéresse aux questions de logistique. Elle a pour
tenants William Petty, François Quesnay, David Ricardo, Augustin Cournot et
Léon Walras. Pour l’économiste et philosophe indien, la perspective
‘’mécaniste’’ se rapproche de l’étude de l’économie issue de l’analyse de l’art
de gouverner vu sous son aspect des techniques à mettre en œuvre.[127]
Elle remonte, poursuit-il, au premier livre écrit sous un titre ressemblant à
‘’Economie’’ l’ « Arthaçȃ »
de Kautilȋya qui signifie approximativement en Sanskrit ‘’instructions sur la
prospérité matérielle’’. La logistique de l’art de gouverner et notamment la
politique occupe une place de choix dans ce livre.[128] Ce
livre, à en croire Amartya Sen, « établit
une distinction entre ‘’quatre domaines du savoir’’ qui sont : 1/ la
métaphysique et 2/ la connaissance ‘’du bien et du mal’’, mais il élabore
ensuite des aspects plus pratiques du savoir ayant trait à 3/ l’art de
gouverner et 4/ la ‘’science de la richesse’’. Passant en revue toutes sortes
de questions pratiques, telles que la construction des villages, l’organisation
foncière, la collecte des impôts, la tenue des comptes, la réglementation des
droits de douane, etc., mais aussi les manœuvres diplomatiques, la stratégie
des Etats vulnérables, le pacte de colonisation, les méthodes pour exercer une
influence au sein de l’Etat ennemi, l’emploi d’espions, la lutte contre les
détournements de fonds par les fonctionnaires, et autres, l’ouvrage se
concentre nettement sur les questions techniques, ‘’mécanique’’ »[129].
Les
deux origines de l’économie, la tradition éthique et la conception
‘’mécaniste’’, ont chacune des mérites. Cependant, sans toutefois nier
l’importance de la perspective ‘’mécaniste’’, Amartya Sen soutient que la
science économique ne peut être rendue plus féconde actuellement que si
l’intérêt est davantage et explicitement accordé aux considérations éthiques.
Car, c’est celles-ci qui façonnent le comportement et le jugement humain.[130]
III.1.2. Débat actuel
sur l’éthique économique
Dans
son analyse de l’économie moderne, Amartya Sen présente la thèse selon laquelle
« l’économie moderne s’est trouvée
considérablement appauvrie par la distance qui a éloigné l’économie de
l’éthique »[131]. En
effet, la perte de l’éthique dans l’économie a affaibli celle-ci dans la mesure
où il y a eu séparation entre ces deux domaines. D’où la nécessité de réinsérer
dans la science purement ‘’mécaniste’’, des valeurs éthiques. Car, « il se trouve que c’est en étudiant les
interdépendances complexes que le raisonnement économique, influencé par la
conception mécaniste, a accompli des progrès considérables. C’est ainsi que
l’éthique peut s’enrichir des raisonnements utilisés en économie »[132].
Par
ailleurs, le problème de l’affaiblissement de l’économie intéresse l’UNESCO
dans son programme interdisciplinaire Ethique de l’Economie. Selon Dr. Ninou
Garabaghi, ce nouveau programme interdisciplinaire a été conçu et développé au
titre du grand thème fédérateur ‘’Humaniser la mondialisation’’. Ce thème vise,
d’après lui, à soutenir et à susciter les initiatives qui tendent à la
définition, la promotion et la diffusion dans la vie économique des valeurs
susceptibles de contribuer à l’humanisation de la mondialisation. Selon la même
source, le concept d’économie éthique, fondé dans le cadre du paradigme du
‘’développement humain durable et partagé’’, se présente aujourd’hui avec pour
objet la définition, la promotion et la diffusion dans la vie économique des
règles de jeu, de principes et des normes éthiques universellement acceptables
susceptibles de favoriser à moyen terme la réconciliation de l’économique, du
social, de l’écologique et du culturel et à plus long terme d’assurer leur
codétermination dans le processus de mondialisation.[133]
Le
principe de droit inaliénable de chaque être humain à la vie fonde, selon la
même source, le concept d’économie-éthique. Pour ce faire, ce concept implique
trois principes d’économicité, notamment :
·
L’effet bénéfique objectivement. Il ne
s’agit pas de décider ce qui est bon pour les êtres humains mais de les mettre
en situation de pouvoir décider sur base des savoirs disponibles de ce qui est
bon pour eux ;
·
L’exclusion de toute destruction de
services et de biens, produits par les cultures et/ou dons de la nature,
propres à des effets bénéfiques pour les êtres humains. Ceci suppose la
préservation de l’environnement dont dépend l’existence de tous les êtres et le
respect et la promotion de la diversité culturelle;
·
Le plein développement multidimensionnel
de chaque être humain. Ce qui implique l’obligation prioritaire de la couverture
des coûts de statut humain de la vie.[134]
Remarquons
pour conclure ce point qu’il a été question de l’origine de l’économie et du
débat actuel sur l’éthique de l’économie. Nous nous tournons à présent, vers
l’analyse du mécanisme du marché et vers les critères pour en évaluer
l’efficacité.
III.1.3. Du mécanisme
de marché
Le
mot marché renferme plusieurs significations. Premièrement, il désigne cet
espace public où se font des échanges et des transactions commerciales. Sous
cet angle, le marché peut être un lieu public bien précis, tel qu’une ville, un
pays où se font des transactions avec les nations étrangères. Deuxièmement, le
marché est une convention qui se passe entre un vendeur et un acheteur.
Troisièmement, par marché il faut entendre cet état de l’offre et de la
demande. Ainsi parle-t-on, par exemple, d’un marché actif.[135]
Classiquement
le marché est un lieu d’achat et de vente de tous les biens. Ainsi défini, le
marché met de côté des biens non vendables tels que l’environnement, la santé,
l’éducation, etc. c’est pour cette raison qu’Amartya Sen ne la partage pas
totalement. Entendre le marché comme lieu d’achat et de vente signifie que
l’intérêt individuel prime sur l’intérêt social. D’où le rôle de l’Etat de
maintenir les biens publics (environnement, etc.) et de les protéger contre
toute volonté individuelle. Dans cette perspective, l’auteur propose à l’Etat
le devoir d’inciter et de financer le social pour lutter contre la détérioration
des capacités.
Par
mécanisme de marché, il faut entendre tout ce qui entre en jeu dans les
échanges et transactions commerciales qui peut favoriser un travail libre et
contractuel ou un travail servile, selon qu’il s’agit du type de marchés
concurrentiels ou monopolitiques. L’auteur entend par ce terme, « un dispositif interactif qui permet aux
hommes d’entreprendre des activités mutuellement avantageuses »[136].
Les concepts de marché et du mécanisme étant ainsi définis, il est maintenant
important d’en examiner le rôle.
III.1.3.1. Rôle du
mécanisme de marché
L’auteur
reconnaît la contribution du mécanisme du marché à la croissance et au progrès
économique dans les études consacrées au développement. Cependant, il croit
qu’il serait erroné d’appréhender ce mécanisme par ses seules conséquences.
Pour lui, le fait de contribuer de façon significative à la croissance
économique est un aspect secondaire du marché, dès lors qu’on reconnaît et
qu’on admet l’importance directe de la liberté d’échanger des mots, des biens ou des cadeaux[137].
Aussi soutient-il que maintenir les gens dans une situation de sujétion et
d’asservissement c’est leur refuser la liberté de participer au marché du
travail. Ainsi fustige-t-il le maintien du travail servile dans de nombreux
pays du Tiers-Monde. En effet, pour lui, « la
liberté d’entrer sur le marché contribue au développement, quelle que soit
l’appréciation que l’on porte sur le rôle du mécanisme de marché dans la
croissance économique ou l’industrialisation »[138].
La
libre participation aux échanges économiques constitue, d’après l’auteur, un
rôle fondamental dans la vie sociale. Le rapport entre mécanisme de marché et
liberté pose deux problèmes majeurs, deux entraves aux libertés. La première
forme d’atteinte aux libertés est la restriction des possibilités de
transactions au travers de contrôles arbitraires. « Les gens se trouvent alors empêchés de réaliser les transactions
simples, légitimes et habituelles auxquelles ils s’adonneraient en l’absence de
raisons majeures pour agir autrement »[139].
Pour résoudre ce problème, la liberté des échanges et de transactions s’avère
nécessaire. La seconde forme d’atteinte aux libertés est l’absence du marché,
source des limitations imposées au mécanisme de marché. Ces obstacles
arbitraires peuvent conduire à une restriction des libertés. Dénier les
opportunités économiques, c’est-à-dire les opportunités offertes par
l’existence du marché, constitue un déni de libertés.[140]
De
ces deux problèmes ressort un contraste qu’il convient de souligner. D’un côté,
l’idée selon laquelle le marché peut servir d’accélérateur à la croissance
économique et à l’amélioration des conditions de vie. De l’autre côté, l’idée
selon laquelle « les politiques
publiques qui brident le fonctionnement du marché nuisent à la prospérité
économique et ont souvent pour effet de restreindre l’expansion des libertés
substantielles »[141].
Dans quelles circonstances le marché peut-il favoriser la croissance économique
et à quel moment peut-il nuire à la prospérité économique ? Pour répondre
à cette question, l’économiste et philosophe indien distingue deux situations
dans lesquelles peut se trouver un marché. Il s’agit d’une part, de la
situation où le marché est fondé sur le libre arbitre. Dans ce cas, les acteurs
agissent comme ils l’entendent, en décidant ce qu’ils vont produire et
consommer, où ils vont travailler. Ainsi, « une personne produit les mêmes biens pour un même travail, reçoit les
mêmes revenus et consomme dans les mêmes termes »[142].
D’autre part, c’est quand le marché est fondé sur l’obéissance à un ordre
dictatorial. Il s’agit ici d’un système centralisé, aux ordres d’un dictateur
qui parvient à centraliser toutes les décisions des acteurs, concernant la
production et la distribution. Ce dernier cas ne favorise pas, d’après Amartya Sen,
l’épanouissement de l’homme économique. Il restreint sa liberté d’échange.
Rationnellement, les individus préféreront le marché fondé sur le libre arbitre
à celui fondé sur la soumission. Cette préférence peut s’expliquer par la
distinction qu’il fait entre résultats agrégatifs et résultats compréhensifs.
Par résultats agrégatifs, il entend des résultats finaux sans tenir compte des
processus qui y conduisent, parmi lesquels l’exercice de la liberté. Par
résultats compréhensifs, il entend les résultats qui prennent en compte le
processus à travers lequel ont été obtenus les résultats agrégatifs. L’approche
du développement comme liberté soutient le marché fondé sur le libre arbitre
puisqu’il concoure à l’épanouissement de l’homme.
Par
ailleurs, l’auteur remarque que la théorie économique du marché, en centrant sa
réflexion sur les produits, laisse de côté la notion de liberté, qui est l’une
de ses valeurs centrales. Cette liberté du marché du travail peut être entravée
par des lois, des règlements ou par la tradition. « Nous avons de bonnes raisons d’acheter, de vendre, d’échanger, et de
conduire notre vie sur un mode qui exige l’existence de transactions. Un déni
de liberté sur ce terrain constituerait, en soi, un grave échec pour la
société. »[143]
La
liberté de marché en général, et celle de l’emploi en particulier constituent
une étape cruciale du développement. Amartya Sen en donne quatre exemples pour
prouver cette idée. Le premier exemple est celui de l’existence en Asie et en
Afrique des formes diverses de travail servile et le fait que le droit
essentiel à la libre recherche d’un emploi salarié hors du contrôle des maîtres
traditionnels s’y trouve en permanence bafoué. Pour ce faire, il arrive que les
propriétaires de caste supérieure du Bihar, l’un des Etats les plus arriérés de
l’Inde, terrorisent par le meurtre et par le viol les familles ‘’attachées’’ à
leur terre.[144]Seules
les pressions de la presse, poursuit-il, ne peuvent y mettre fin. Encore
faut-il « imposer la liberté
d’emploi et de reconsidérer la propriété de cette terre à laquelle ces ouvriers
sont rivés contre leur gré ».[145]
Le
deuxième exemple que donne l’économiste et économiste indien porte sur l’échec
du socialisme bureaucratique en Europe de l’Est et en Union soviétique. A l’en
croire :
« Si l’on s’en tient aux données économiques
brutes, qu’il s’agisse des revenus ou de l’espérance de vie, sa faillite est
incompréhensible. En termes d’espérance de vie, par exemple, les pays
communistes ont souvent obtenu d’excellents résultats, les statistiques
démographiques (vérifiées) de l’Union soviétique, de la Chine avant les réformes de 1979, du
Vietnam et de Cuba le prouvent. De ce pont de vue, on enregistre même une
détérioration dans certains de ces pays au cours de la dernière décennie, en
Russie, en particulier, où l’espérance de vie à la naissance est tombée à
environ 58 ans pour les hommes, un chiffre de loin inférieur à ceux de l’Inde
et du Pakistan. Les résultats électoraux montrent pourtant que la population ne
souhaite pas revenir à l’ancien système. Même les partis héritiers de l’ancien
ordre se gardent de réclamer une véritable restauration et ne revendiquent des
retours en arrière que très partiels. Si l’on veut tirer le bilan de ces
évolutions, on doit prendre en compte l’inefficacité économique du communisme.
Mais ce facteur n’explique pas tout. L’échec est dû aussi au déni de liberté
dans un système dont les marchés étaient bannis. Et même dans les secteurs où
ils existaient, leur accès pouvait être interdit à certains. Il arrivait ainsi que
des gens postulant pour un emploi soient exclus du processus de recrutement (ou
que des indésirables soient contraints d’aller travailler là où leur employeur
décidait de les envoyer) ».[146]
Le
troisième problème est celui de la question dramatique du travail des enfants.
Pour Amartya Sen, cette problématique « entretient des relations étroites avec l’esclavage et le servage
puisqu’une grande partie des enfants sont astreints par la force à exécuter des
tâches épuisantes. Leur condition a pour cause la pauvreté des familles. Il
n’est pas rare que les parents soient eux-mêmes tenus dans les relations de
servitude vis-à-vis de leurs employeurs, même si l’on ne peut ignorer une autre
dimension de cette sinistre réalité, c’est-à-dire la barbarie qui consiste à
forcer des enfants à accomplir tel ou tel ordre. Dans les régions concernées
(…), la liberté de s’instruire est limitée
non seulement par la faiblesse des structures scolaires élémentaires
mais aussi par l’impossibilité dans laquelle ces enfants, et souvent leurs
parents, se trouvent de choisir ce qu’ils souhaitent faire »[147].
Le
dernier exemple implique la question de la liberté pour les femmes de
travailler en dehors du cadre familial. Cette question fait couler de l’encre
et occupe une place cruciale dans beaucoup de pays du Tiers-Monde. En effet,
« partout où cette possibilité est
déniée, il s’agit d’une violation grave de la liberté des femmes et de
l’égalité entre les sexes. C’est un obstacle à leur responsabilisation
économique dont les conséquences négatives sont multiples »[148]. Aussi, poursuit Amartya Sen, « l’entrée sur le marché du travail contribue
non seulement à leur indépendance économique, mais il a aussi pour effet de
procurer aux femmes une meilleure part dans la répartition du revenu au sein du
foyer »[149].
L’auteur rappelle que « le travail
domestique, si éreintant soit-il, est rarement respecté ou même reconnu, et
jamais rémunéré »[150].
D’où le fait de priver le droit de travail hors du foyer constitue une plus
grave atteinte à la liberté des femmes. Ce déni de liberté se traduit de
plusieurs manières. Il peut se faire par des moyens brutaux. On impose ou on
interdit formellement aux femmes de travailler hors de leur foyer. Dans
beaucoup de cas, cette interdiction s’exerce par des voies tacites de la
convention et du conformisme. « Il
se peut encore qu’en l’absence de tout interdit formel, les femmes élevées dans
les valeurs traditionnelles se montrent elles-mêmes réticentes à rompre avec la
tradition et craignent de choquer. Les notions de ‘’normalité’’ et de
‘’convenances’’ jouent un rôle central »[151].
Pour
répondre à tous ces problèmes liés à l’absence de la liberté d’emploi, l’auteur
propose, d’une part, l’importance des transactions et du droit à la
participation économique incluant le droit à la libre recherche d’un emploi,
d’autre part, l’importance directe des libertés au marché, telles que la
liberté de réaliser et la liberté de transaction.[152]
III.1.3.2. Limites du
mécanisme de marché
Le
mécanisme de marché pose deux limites majeures. D’un côté, il crée l’inégalité
des revenus et l’inégalité de la distribution des libertés substantielles des
capacités. De l’autre côté, il pose le problème d’équité des productions du
marché et dans la distribution des libertés. Le problème d’inégalité et des
libertés s’aggrave, selon l’auteur, à partir du moment où l’attention se
déplace de l’inégalité des revenus vers l’inégalité dans la distribution des
libertés substantielles et des « capabilités ».[153]
Ceci s’explique par ce qu’il nomme ‘’couplage’’ de l’inégalité par des revenus,
d’une part, et l’inégalité des avantages dans la conversion des revenus en
« capabilités », d’autre part.[154]
Cette inégalité rend la question de l’inégalité de revenus plus complexe. Pour
ce faire, « une personne malade ou âgée
ou affectée d’un autre handicap aura, d’une part, du mal à gagner un revenu
décent, et, d’autre part, plus de difficultés à convertir ce revenu en
capacités et en confort de vie. Un facteur susceptible d’empêcher quelqu’un
d’obtenir un bon travail et un revenu correct (l’infirmité, par exemple) sera
aussi susceptible d’empêcher cette personne de jouir d’une bonne qualité de
vie, même à travail et à revenu égal »[155].
Le
second problème, celui de l’équité dans la distribution des revenus du marché,
semble, d’après l’auteur, trouver des solutions, sous certains cieux, quand il
touche particulièrement un contexte de privations graves et de pauvreté. Il
s’agit ici du rôle que jouent le soutien gouvernemental et l’intervention
sociale. En effet, « pour une bonne
part, la sécurité sociale de l’Etat-providence remplit ce rôle, par la
couverture médicale, l’aide publique aux chômeurs et aux pauvres, etc. »[156]. Au
fait, les problèmes que pose le marché ne sont pas, pour l’auteur, dûs au
marché lui-même. Ils ont d’autres sources telles que le manque de préparation
dans l’utilisation des transactions du marché, la dissimulation volontaire
d’information et l’absence de régulation sur les opérations permettant aux plus
puissants de tirer parti des avantages asymétriques dont ils jouissent, etc.[157] La
solution aux problèmes du marché ne peuvent pas être résolu en le bannissant. Amartya
Sen insiste à ce propos qu’ « on ne
règle pas ce problème en supprimant les marchés, mais en leur permettant de
fonctionner mieux et de façon plus équitable. Les résultats du marché sont
tributaires de son encadrement politique et social »[158].
Etant
donné que le fonctionnement du marché n’est pas à mesure de résoudre tous les
problèmes qui surgissent en son sein, les pouvoirs du mécanisme de marché
doivent, selon Amartya Sen, être complétés par la création d’opportunités
sociales élémentaires qui favorisent l’équité et la justice sociale. Les
opportunités sociales élémentaires favorisant l’équité et la justice sociale
comprennent l’éducation, les services médicaux, la disponibilité des ressources
(foncières, par exemple) pouvant être vitales à certaines activités telles que
l’agriculture. La mise en place de ces conditions exigent des politiques
publiques appropriées telles que le système scolaire, la couverture médicale,
la réforme foncière.
Quoi
qu’il en soit, Amartya Sen reconnaît que le marché peut servir d’accélérateur à
la croissance économique et à l’amélioration des conditions de vie. Cependant,
à l’en croire, « les politiques publiques qui brident le fonctionnement du
marché nuisent à la prospérité économique et ont souvent pour effet de
restreindre l’expansion des libertés substantielles»[159].
Précisons
deux éléments importants. En premier lieu, il sied de remarquer que le
mécanisme de marché ne concerne pas les biens publics tels que l’environnement,
mais il porte sur des biens privés, les biens et services échangeables. En
second lieu, Le terme d'économie de
marché désigne un système économique où les décisions de produire, d'échanger
et d'allouer des biens et services rares sont déterminées majoritairement à
l'aide d'informations résultant de la confrontation de l'offre et de la demande
établie par le libre jeu du marché. Confrontation qui détermine les
informations de prix, mais aussi de qualité, de disponibilité.[160]
III.1.4. Critères
d’évaluation de l’efficacité du marché
Il
sera ici question de l’analyse des principes qui fondent les échanges
économiques et qui servent à en évaluer l’efficacité, et par conséquent,
constituent les critères d’évaluation de la justice sociale. Deux principes
attirent ici notre attention. Il s’agit de l’Optimum de Pareto et du Maximin.
III.1.4.1. Optimum de
Pareto
En
économie,
l’Optimum de Pareto, nommé
d'après l'économiste italien Vilfredo
Pareto, est un état de la société dans lequel on ne peut pas
améliorer le bien-être d’un individu
sans détériorer celui d’un autre.[161]Appelé
autrement ‘’Théorème d’Arrow-Debreu’’, en référence aux auteurs qui l’ont
formulé, il revêt, selon Amartya Sen, une réelle importance ; car, dans
certaines conditions, les résultats du mécanisme du marché ne sont pas
perfectibles de façon que l’utilité de chacun pourrait s’en trouver augmentée
(ou que l’utilité de certains puisse être augmentée sans que celle de quelqu’un
d’autre puisse s’en trouver diminuée). D’où la question de savoir si
l’efficacité recherchée ne devrait pas être comptabilisée en termes de libertés
individuelles plutôt que d’utilités.[162]Ainsi
Amartya Sen critique ce principe par le fait qu’il évalue l’efficacité en
termes d’utilités plutôt qu’en termes de libertés individuelles. Il établit un
rapport entre liberté et efficacité. A l’en croire, « lorsque les individus sont à même d’exercer un choix intelligent,
l’efficacité en termes d’utilités individuelles doit, dans une large mesure, se
greffer sur l’offre de possibilité de choisir. Ces possibilités concernent non
seulement ce que les gens choisissent (et l’utilité qu’ils réalisent) mais
aussi l’ensemble des options utiles dont ils disposent (et les libertés
substantielles dont ils jouissent ».[163]
Par
ailleurs, la notion d'Optimum de Pareto permet de diviser en deux l'ensemble
des états possibles de la société. On peut ainsi distinguer :
- ceux qui sont uniformément améliorables :
il est possible d'augmenter le bien-être de certains individus sans
réduire celui des autres ;
- ceux qui ne sont pas uniformément
améliorables : l'augmentation du bien-être de certains individus
implique la réduction du bien-être d'au moins un autre individu.
Ce
sont les états entrant dans ce deuxième cas de figure que l'on désigne comme optimaux au sens de Pareto, ou Pareto-optimaux.[164]
De
nombreux états possibles de la société sont également des optima de Pareto. La
notion d'Optimum de Pareto ne permet donc pas de les comparer :
pour savoir lesquels sont les plus justes ou souhaitables, il est nécessaire de
faire appel à d'autres critères d'évaluation, d'un point de vue qualitatif ou
quantitatif.
Pour
cette raison, une situation d’optimalité « au sens de Pareto » n’est
pas nécessairement une situation socialement "juste". Pour prendre un
exemple extrême, une société où toutes les richesses appartiennent à un seul
homme est un Optimum de Pareto, car transférer une partie de ses richesses à
d’autres personnes réduirait le bien-être d’au moins un individu. Par ailleurs,
dans cette même situation, s’il devient possible de faire des changements qui augmenteraient le stock total de
richesses de la société sans retirer de capital à cet homme, alors la situation
n'est plus Pareto-optimale. Toujours dans cette même situation, attribuer un
accroissement de capital dans la société à cet homme-là uniquement (au lieu de
l'attribuer à ceux qui n'ont rien) recrée un Optimum de Pareto.
Il
convient donc d’employer une terminologie rigoureuse et de parler d'état
efficace « au sens de Pareto ». Un optimum de Pareto est une notion minimale de mesure d'efficacité; elle
permet dans certains cas de donner une indication sur la direction générale de
mesures à prendre, ou d'éviter de grossières erreurs de décision. Quel rapport peut-on établir entre le critère
de Pareto et le critère utilitariste ?
En
cela, la notion d'Optimum de Pareto est à distinguer du critère
utilitariste de comparaison des états possibles de la
société. Ce critère, aussi appelé principe du plus grand bonheur, prend
en effet en considération le "bonheur global" de la société, conçu
comme une mesure globale du bien-être de tous les individus, et déclare qu'un
état de la société est moralement préférable à un autre si son bonheur global
est plus grand que le bonheur global dans le second état de société. Il existe
bien sûr une infinité de façons d'évaluer ce bonheur global (via une fonction
d'évaluation), suivant les éléments qu'on prend en compte et le poids qu'on
leur accorde.
Le
critère de l’Optimum de Pareto et le critère utilitariste sont compatibles, au
sens où si un état A est plus efficace qu'un état B au sens de Pareto, alors il
l'est aussi au sens utilitaire. En effet, le bien-être de chaque individu étant
au moins aussi grand en A qu'en B, c'est a fortiori vrai pour le
bien-être total des individus; ceci traduit juste la banalité arithmétique: si
X≥x et Y≥y, alors X+Y≥x+y — en termes plus formels : l'utilitarisme est
une extension
linéaire de l'ordre
partiel de Pareto.
Le
critère utilitariste a l'avantage sur le critère de Pareto de permettre de
toujours comparer deux états, car il mesure la "qualité" d'un état
par un nombre réel représentant le bien-être total (or deux nombres réels
peuvent toujours être comparés).
Cet
avantage du critère utilitariste a une contrepartie : alors que tout le
monde peut raisonnablement s'accorder sur le fait que si un état A est plus
efficace qu'un état B au sens de Pareto, alors il est préférable absolument
(puisque tout le monde va au moins aussi bien en A qu'en B), ce n'est plus si
évident pour le critère utilitariste : l'état A peut être préférable à B
même si certains individus ont un bien-être supérieur en B qu'en A, ceci parce
que cette baisse de bien-être de certains est plus que compensée, dans
l'évaluation globale des bien-être de tous les individus, par l'accroissement
du bien-être d'autres.
De
façon plus imagée, en assimilant simplement le bien-être d'un travailleur au
montant de sa paie, et le bonheur global à la somme de ces montants :
- Payer tous les travailleurs 10 euros de plus
conduit à un état plus efficace, que ce soit au sens de Pareto ou
utilitaire; et cela ne fera sans doute pas de mécontents ;
- Payer 100 euros de moins 10 % des
travailleurs et 15 euros de plus les 90 % restants conduit a un état
plus efficace au sens utilitaire (car 15 × 90 > 100 × 10) ; mais
cela fera sans doute des mécontents. Ce nouvel état est incomparable au
sens de Pareto avec le précédent.
Ceci
provient tout simplement du fait qu'il existe de nombreux critères permettant
d'évaluer le bonheur global dans différentes situations --réelles ou
hypothétiques, et donc de prendre des décisions politiques: le choix de tel ou
tel critère ou le poids qu'on lui accorde est un choix moral qui fait,
fatalement, des mécontents.
Un autre exemple notable du critère compatible avec celui de Pareto est de mesurer le bien-être d'une population au bien-être de ses individus les plus "malheureux".
Un autre exemple notable du critère compatible avec celui de Pareto est de mesurer le bien-être d'une population au bien-être de ses individus les plus "malheureux".
À
remarquer qu'il existe aussi des critères non compatibles avec l’Optimum de Pareto,
qui peuvent cependant être trouvés plus « justes » par certains.
C'est, par exemple, le cas d'un critère égalitariste
qui mesurerait le bien-être d'une population par l'écart
moyen des bien-être de ses individus: selon ce
critère, un état où 10 % des individus possèdent 90 % des richesses
serait moins souhaitable qu'un état où chacun possède approximativement la même
part de richesse, même si la richesse totale dans le premier cas est bien
supérieure à celle du second cas.[165]
S’agissant
de l’efficacité économique, Amartya Sen soutient que seul le critère d’Optimum
de Pareto a survécu dans le développement de l’opposition à l’éthique et le
renoncement aux comparaisons interpersonnelles d’utilité dans l’économie du
bien-être. En effet, un état social est défini comme optimal au sens de Pareto
si et seulement s’il est impossible d’accroître l’utilité d’une personne sans
réduire celle d’une autre personne. Pour Amartya Sen, il s’agit là d’une
réussite très limitée, qui ne garantit pas nécessairement, par elle-même,
d’excellents résultats. Pour un état peut être optimal au sens de Pareto même
si certains individus sont extrêmement pauvres et d’autres immensément riches.
« L’Optimum de Pareto est parfois
dénommé aussi « efficacité économique ». Cet usage est approprié pour
certains points de vue, dans la mesure où l’optimum de Pareto s’intéresse
uniquement à l’efficacité dans l’espace des utilités et n’accorde aucune
attention aux questions de répartition de l’utilité. Cependant, d’un autre
point de vue, le choix de ce terme d’efficacité est malheureux, car l’analyse
reste exclusivement centrée sur l’utilité, héritage de l’ancienne tradition
utilitariste. Il est bien sûr possible d’introduire d’autres considérations
dans l’évaluation de la réussite des personnes et donc de la société ».[166]
Qu’en est-il du critère dit ‘’maximum minimum’’ ou Maximin?
III.1.4.2. Le Maximin[167]
La
notion de “maximin” apparaît dans la Théorie
de la Justice de John Rawls. Celui-ci n’est pas économiste mais théoricien
du politique, et en particulier de la justice sociale. Il pense qu’on a besoin
d’un ensemble de principes pour choisir entre les différentes organisations
sociales celles qui déterminent la répartition des avantages, afin de conclure
un accord sur une distribution correcte des parts. Dans la Théorie de la Justice, sa démarche est de répondre à la question
plus précise de savoir quels sont les principes mêmes que des personnes libres
et rationnelles, désireuses de favoriser leurs propres intérêts, et placées
dans une position initiale d’égalité (position originaire), accepteraient et
qui, selon elles, définiraient les termes fondamentaux de leur association »,
par exemple, la manière dont l’Etat gère les impôts, les services et les
subventions publiques etc. Ces principes sont présentés dans Théorie de la
justice comme suit :
« En premier lieu : chaque personne doit
avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales pour
tous qui soit compatible avec le même système pour les autres. En second
lieu : les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de
façon à ce que, à la fois, (a) l’on puisse raisonnablement s’attendre à ce
qu’elles soient à l’avantage de chacun et (b) qu’elles soient attachées à des positions
et à des fonctions ouvertes à tous»[168]. Appliqués à la société bien ordonnée, ces
principes commandent l’attribution des droits et des devoirs, et déterminent la
répartition des avantages économiques et sociaux.
Dans
le Libéralisme politique, par ailleurs, l’énoncé de ces principes
diffère de celui que nous avons présenté ci-haut. C’est pour répondre aux
objections d’autres penseurs que John Rawls essayera de reformuler celui-là.
Cette reformulation est libellée de la manière suivante :
« 1) Chaque personne a un droit égal à un
schème pleinement adéquat de libertés de base égales pour tous, qui soit
compatible avec un même schème de libertés pour tous ; et dans ce schème,
la juste valeur des libertés politiques égales, et de celles-là seulement, doit
être garantie. 2) Les inégalités sociales et économiques doivent satisfaire à
deux conditions :
- elles doivent être liées à des fonctions et à
des positions ouvertes à tous dans des conditions d’égalité équitable des
chances, et
-
elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus désavantagés
de la société ».[169]
Au
fait John Rawls ne refuse pas l’existence des inégalités socio-économiques.
Elles peuvent se justifier, selon lui, à condition qu’elles résultent d’une
juste égalité des chances (droits égaux, formation d’égal niveau, etc.) et
qu’elles améliorent la condition des plus défavorisés. Par exemple, selon ce
principe, si une amélioration de la productivité profite à un entrepreneur
(socialement déjà favorisé), et, si elle a aussi des conséquences positives sur
les avantages des plus défavorisés (les travailleurs non qualifiés, par
exemple), alors la nouvelle répartition est considérée comme juste.[170]
III.2.
Rapport entre économie, éthique et morale
Ce point portera sur la
définition des concepts d’économie, d’éthique et de morale. Il en établira le
rapport et en donnera les différentes acceptions. De prime abord, soulignons
que, comme notre travail s’inscrit dans la philosophie morale, il nous paraît
judicieux de lancer le fondement philosophique de ce débat en établissant la
distinction faite par Paul Ricœur et Emmanuel Kant entre le concept d’éthique
et de morale.[171]
Pour le premier, l’éthique est d’origine grecque et désigne les mœurs. Elle
concerne une conduite qui vise ce qui est estimé bon. Elle est un héritage
d’Aristote à cause de sa perspective téléologique. Elle cherche à déterminer
les arguments pour et contre d’une action pour permettre au sujet de faire le
choix et d’être conséquent. Elle détermine les orientations réfléchies et
correctes. Par contre, la morale est d’origine latine. Elle signifie ‘’mœurs’’.
Elle concerne une conduite qui s’impose comme obligatoire. Il s’agit d’une
norme ou interdiction. La morale est un héritage d’Emmanuel Kant à cause de sa
perspective déontologique. Elle se présente comme un ensemble de règles
d’action et de valeurs qui fonctionnent comme de normes dans la société. La
morale prescrit, ordonne et commande ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut
pas faire. Par ailleurs, pour le philosophe de Königsberg, l’éthique se
présente comme un impératif hypothétique, c’est-à-dire impose des conditions
pour agir. Elle peut être relativiste. La morale, en revanche, se présente
comme un impératif catégorique. Ainsi est-elle dogmatique parce que le bien et
le mal demeurent invariables dans le temps et l’espace.
III.2.1. Définition de
l’économie
Amartya
Sen ne donne pas clairement la définition de l’économie. Il fait remarquer
seulement que la séparation entre éthique et économie a entraîné
l’appauvrissement de la science économique. Aussi s’évertue-t-il à chercher
comment réconcilier ces deux domaines. C’est pour cette raison que nous faisons
recours à d’autres sources webographiques pour mener au bout notre entreprise.
En
effet, le mot «économie » vient
du grec
ancien « οἰκονομία / oikonomía » qui
signifie : « administration d'un foyer ». L’économie est l'activité humaine qui consiste en la
production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. Cependant, ce mot peut avoir plusieurs
significations selon le contexte.[172]
L’économie est le concept étudié par les sciences économiques, celles-ci prenant appui sur des
théories économiques, et sur la gestion
pour sa mise en pratique. Le terme d'« économie », au sens uniquement
d'économie politique, a été popularisé par les économistes néoclassiques comme Alfred
Marshall. Le mot « économie » devient alors, de
façon concise, synonyme de « science économique » et peut être
considéré comme substitut de l'expression « économie politique ». Cela correspond à
l'influence notable des méthodes mathématiques utilisées dans le domaine des
sciences naturelles.
Dans le sens
large, on parle de l'économie comme de la situation économique d'un pays ou
d’une zone, c'est-à-dire de sa position conjoncturelle (par rapport aux cycles économiques) ou structurelle. Dans ce sens,
l'économie est donc un quasi-synonyme à la fois de système et de régime. Enfin,
de manière générale, en français, on parle d'économie comme synonyme de
réduction de dépense ou d'épargne. L'économie peut, en effet, être le résultat
d'une organisation
interne plus efficiente : on parle alors d'économie interne.
La baisse du coût
moyen due à l'augmentation de la dimension de l'entreprise constitue une économie d'échelle ou économie de dimension.
L'économie peut résulter d'un phénomène extérieur au pouvoir de décision de
l'agent : on parle alors d'économie externe ou externalités
qui peuvent être soit positives, si elles apportent un plus aux agents
économiques, soit négatives, dans le cas contraire.
Dans
le sens moderne du terme, l’économie commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam
Smith un important corpus analytique qui est généralement
scindé en deux grandes branches : la microéconomie
ou étude des comportements individuels et la macroéconomie
qui émerge dans l'entre-deux-guerres. Actuellement, l'économie applique
ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines
(puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains
domaines : international, finance, développement des pays, environnement,
marché du travail, culture, agriculture, etc. l’économie s’applique à plusieurs
domaines.
On
distingue plusieurs sortes d’économie. Premièrement, l’économie internationale. Elle porte sur les relations
commerciales et économiques entre pays.
Deuxièmement la finance. Elle désigne les méthodes et les
institutions qui permettent aux entreprises et aux particuliers d'obtenir les capitaux
nécessaires et aux épargnants de placer leurs capitaux. La finance comprend
plusieurs volets dont:
- La finance d'entreprise :
c'est-à-dire la gestion financière des entreprises,
notamment de leurs investissements
et de leurs financements.
C'est le domaine d'activité du directeur financier ;
- La finance de marché :
c'est-à-dire le fonctionnement des grands marchés sur
lesquels il est possible d'investir, de
se couvrir, ou
d'utiliser des instruments financiers
complexes, comme les options.
Troisièmement l’économie du développement. Il s’agit d’une branche de
l'économie qui applique des techniques modernes de l’analyse macroéconomique
et microéconomique à l’étude des problèmes économiques,
sociaux, environnementaux et institutionnels que rencontrent les pays dits en
développement. Elle s'intéresse aux déterminants de la pauvreté
et du sous-développement
ainsi qu'aux politiques à mettre en œuvre pour sortir les pays en développement de leur sous-développement.
Quatrièmement l'économie du travail. Elle analyse le fonctionnement du marché du travail défini comme le lieu de rencontre
des travailleurs
et des employeurs.
Dans le cadre d'une économie capitaliste,
les « offreurs » de force de travail sont les travailleurs et les
demandeurs sont les employeurs. L'économie du travail cherche à analyser la
fixation des salaires,
le taux
d'emploi et le chômage,
et permet de déterminer les meilleures politiques de l'emploi à mettre en place. Il y
a deux approches possibles pour étudier le marché du travail. L'économie du
travail peut être analysée à l'aide des techniques microéconomiques
ou macroéconomiques. Les techniques macroéconomiques
s'intéressent aux interactions entre le marché du travail et les autres marchés
(biens, monnaie, commerce international). Il s'agit de savoir comment
ces interactions influencent les variables macroéconomiques telles que le
niveau de chômage, le taux de participation au marché du travail, le revenu
agrégé et le produit intérieur brut.
Cinquièmement l’économie de l'environnement. Elle
concerne le développement durable. En effet, le développement durable vise à instaurer des normes qui
permettent de satisfaire les besoins humains tout en préservant l'environnement
non seulement pour le présent mais également pour le futur. Le terme a été
utilisé par le rapport Brundtland qui lui a donné sa légitimité et
sa signification de développement économique qui « satisfait les
besoins du présent sans compromettre ceux des générations futures ».
Sixièmement l’économie de la culture. Elle
s'intéresse aux aspects économiques de la création, de la distribution et de la
consommation d'œuvres d'art.
Longtemps cantonné aux beaux-arts, aux spectacles
vivants et au patrimoine historique dans la tradition
anglo-saxonne, son spectre s'est élargi depuis le début des années
1980 à l'étude des particularités des industries culturelles (cinéma,
édition de livres ou de musique) ainsi qu'à l'économie des institutions
culturelles (musées, bibliothèques, monuments historiques).
La délimitation
de l'économie de la culture pose le même problème que la délimitation de la
culture elle-même. Le cœur de l'économie de la culture, et historiquement son
premier domaine, est donc l'étude des beaux-arts et des spectacles vivants (théâtre,
opéra).[173]
Etymologiquement le mot ‘’éthique’’ vient du grec
« ηθική [επιστήμη] » qui veut dire « la science morale », de
« ήθος » (« ethos ») qui signifie « lieu de vie ;
habitude, mœurs ; caractère, état de l'âme, disposition psychique »
et du latin « ethicus », la morale. L’éthique est une
discipline philosophique pratique (action) et normative (règles) dans un milieu
naturel et humain. Elle se donne pour but d'indiquer comment les êtres humains
doivent se comporter, agir et être, entre eux et envers ce qui les entoure.
Il existe
différentes formes d’éthique qui se distinguent par leur degré de généralité
(l’éthique appliquée par exemple ne possède pas le degré
de généralité de l’éthique générale). Elles se distinguent aussi par leur objet
(comme la bioéthique, l’éthique de l'environnement, éthique des affaires ou l’éthique de l'informatique), ou par leur fondement
culturel (qui peut être l’habitat, la religion,
la tradition
propre à un pays, à un groupe social ou un système idéologique). Dans tous les
cas, l’éthique vise à répondre à la question « Comment agir au
mieux ? ». L'éthique a les deux pieds dans le réel : il ne
s'agit pas d'un ensemble de concepts abstraits. Cette notion est empreinte de
nuances : rien n’est noir ni blanc. Il faut savoir nuancer les couleurs.
III.2.3.
Rapport entre éthique, morale et économie
L’éthique
générale établit les critères pour agir librement dans une situation pratique
et faire le choix d'un comportement dans le respect de soi-même et d'autrui.[175] La
finalité de l'éthique fait donc d’elle-même une activité pratique. Il ne s’agit
pas d’acquérir un savoir pour lui-même, mais d'agir avec la conscience d’une
action sociétale responsable. Elle est considérée de nos jours, comme la
discipline au fondement de l’éthique appliquée, de l’éthique individuelle,
de l’éthique sociale et des différentes formes d'éthiques
spécialisées qui se confrontent aux problèmes normatifs de leur domaine
particulier. L’éthique vient répondre aux problèmes liés aux caractères
particuliers des situations.
En effet, les rapports entre morale et éthique
sont délicats, car la distinction entre ces deux termes eux-mêmes est
différente selon les penseurs. Dans un sens « ordinaire», le terme éthique
est synonyme de morale,
et désigne une pratique ayant pour objectif de déterminer une manière conforme
de vivre dans un habitat en correspondant aux fins ou aux rôles de la vie de
l'être humain (exemple : recherche du bonheur ou de la vertu).
Une distinction
courante consiste à entendre par « morale » l’ensemble des normes
propres à un individu, à un groupe social ou à un peuple, à un moment précis de
son histoire et à appeler éthique la recherche du bien par un raisonnement
conscient. Durant l'époque moderne, le terme « éthique » est
généralement employé pour qualifier des réflexions théoriques portant sur la
valeur des pratiques et sur les conditions de ces pratiques ; l’éthique
est aussi un raisonnement critique sur la moralité des actions. Il est, par
exemple, question de « comité d’éthique » au sein d’institutions
scientifiques ou d’hôpitaux. L’éthique aurait donc ses fondements dans une
décision dite rationnelle prise à partir d’un libre dialogue entre des
individus conscients des savoirs et de cultures parfois riches de traditions et
de codes idéologiques assimilés.
La morale est
ainsi généralement rattachée à une tradition historique et parfois idéaliste
(de type kantien) qui distingue entre ce qui est et ce qui doit être, selon le
dogme. Alors que l’éthique est liée à une tradition contemporaine et parfois
matérialiste (de type spinoziste) qui cherche seulement à améliorer la
perception de la réalité par une attitude « raisonnable » dans la
recherche du bonheur pour tous. Ainsi, le droit se distingue de la morale et de
l’éthique, dans le sens qu'il ne définit pas la valeur des actes, le bien/mal,
le bon ou le mauvais. Il définit toutefois ce qui est permis et défendu par les
pouvoirs d'une culture, dans une société humaine. La déontologie est, pour sa
part, l’ensemble des obligations que les professionnels s’engagent à respecter
pour garantir une pratique conforme au code d’éthique de la profession.
Par ailleurs,
Monique Canto-Sperber, dans son Dictionnaire
d’éthique et de Philosophie morale, aborde cette question d’éco-éthique. Il soutient l’idée selon laquelle l’éthique
économique est une discipline ancienne. Cela se justifie par le fait que les
activités économiques, notamment la production, la distribution et la
consommation des biens et des services sont
aussi vieilles que l’histoire de l’humanité. L’éthique se veut ainsi une
réflexion sur ce qu’on doit faire sur le plan individuel ou collectif. Il est
donc clair que l’éthique économique est une science ancienne. Pour illustrer ce
propos Monique Canto-Sperber se fonde sur l’existence dans la pensée
occidentale, notamment dans la scolastique et dans l’idéalisme allemand, des
concepts relativement conçus par Platon et Aristote. Il reconnaît, cependant, que c’est avec l’utilitarisme que l’éthique
moderne a vu le jour. A l’en croire, « c’est
avec l’utilitarisme et dans la foulée de la constitution de l’économie
politique comme discipline spécifique que l’éthique moderne a vu le jour.
Etroitement associées dans l’économie politique classique de Smith et Ricardo,
les dimensions analytique et normative se sont graduellement dissociées,
ouvrant ainsi la voie à une discipline normative irréductible à, (…), l’analyse
économique ».[176] La
conformité des membres d’une entreprise à un certain code de conduite
détermine, d’après l’auteur, le bon fonctionnement de l’économie et le
bien-être collectif. Cette maxime de moralité commune porte entre autre sur
l’honnêteté dans le respect des contrats, la véracité de l’information sur les
biens et sur les services offerts, la correction dans les rapports avec les
subordonnés ou sur le civisme fiscal. La
conformité sans calcul à ces maximes favorise un climat de confiance
hautement bénéfique pour le fonctionnement de l’économie, et par conséquent
pour le bien-être collectif.[177]
L’éthique économique joue un rôle important dans la vie économique d’une
société. Dans la perspective libérale, par exemple, l’éthique exige des institutions
sociales la solidarité et la tolérance. Ainsi, l’éthique économique joue le
rôle d’interpréter, d’expliquer et de préciser cette double exigence dans les
institutions, entreprises et disposition ayant une dimension économique.[178]
III.2.4.
La corruption, grand défi de l’économie
Dans le deuxième
chapitre nous avons montré que la corruption constitue un des facteurs du
sous-développement. Vu sa persistance dans la vie économique, il est important
d’y consacrer une petite analyse. En effet, la corruption est un fléau qu’il
faut, à tout prix, combattre. Ce combat devient d’autant plus grand dans les
pays en voie de développement pour qu’ils profitent du mécanisme de marché.
Dans le monde économique moderne, la corruption pose problème. A en croire Amartya
Sen, « de tous les problèmes
relevant des codes de conduite, la corruption économique et ses relations avec
le crime organisé est sans aucun doute celui qui a reçu la plus grande
attention dans les débats récents »[179].
Bien qu’elle constitue un vice économique, la corruption profite à certains.
Selon l’auteur, « toutes les
analyses concordent : dans nombreux pays, en Asie et en Afrique, en
particulier, la corruption est l’un des principaux écueils au progrès
économiques. Pour peu qu’elle atteigne un certain niveau, elle émousse
l’efficacité des politiques publiques et détourne les investissements et les
activités des secteurs productifs vers de fructueuses zones grises. Elles
favorise aussi, (…), la puissance d’organisation criminelles, sur le modèle de
la mafia »[180].
La corruption suppose la violation des règles établies en vue d’un profit
personnel. Comment peut-on y remédier ? Il n’est pas évident, d’après l’auteur,
de mettre fin à ce fléau en incitant les gens à cultiver plus encore leur
intérêt personnel ; encore faut-il de solides raisons pour sacrifier un
possible bénéfice.[181]Cependant,
il pense qu’il faut des réformes organisationnelles pour modifier des gains et
des pertes résultant des comportements motivés par la corruption. D’abord, il
faut réformer des corps d’inspection. Il s’agit de mettre en place tout un
arsenal de sanctions et d’amende en vue de prévenir la corruption. « L’existence d’une réglementation claire,
comprenant des menaces de sanction et appliquée avec rigueur exerce une
influence indiscutable sur les comportements ».[182]Ensuite,
il faut des régimes forts qui ne donnent pas des pouvoirs discrétionnaires à
leurs agents. Car ces agents courent la tentation de consentir des faveurs à
quiconque est prêt à les payer. L’Etat devra donc renforcer son contrôle sur
l’économie afin de supprimer les conditions idéales au développement de la
corruption.[183]
Enfin, lorsque les fonctionnaires de l’Etat disposent d’un large pouvoir mais
ont un revenu relativement faible grande est la tentation de se livrer dans
cette pratique de corruption. Il en est de même quand l’économie se trouve
contrôlée par des administrations pléthoriques, la possibilité de se retrouver
dans cette situation est grande. Au fait, tout l’édifice bureaucratique, du
sommet de la hiérarchie jusqu’aux plus bas échelons, se trouve envahi par la
corruption. D’où l’importance d’un salaire convenable et d’un contrôle régulier
des fonctionnaires par l’Etat.[184]
Le marché se
trouve ainsi être un lieu public où sont conclus des accords. Ceux-ci servent
de garantie de bonne fin. Ils doivent éviter qu’une des parties contractantes
n’échappe à ses engagements. Le caractère contraignant des accords dépend,
selon Amartya Sen, soit de la loi et de son application, soit de la confiance
mutuelle et d’un sens implicite de l’obligation. L’efficacité réelle des gouvernements
sur ce terrain étant souvent limitée et lente, nombre de transactions reposent
sur la confiance et l’honneur.[185]
III.3. Rapport entre gouvernance démocratique et croissance
économique
Le concept
d’économie a été examiné dans le point précédent. Avant d’établir son rapport
avec la gouvernance démocratique et le Droit, il s’avère important de cerner la
quintessence de ces deux notions.
III.3.1.
L’idée de la gouvernance démocratique
La gouvernance[186]
est une notion parfois controversée, car définie et entendue de manières
diverses et parfois contradictoire. Cependant, malgré la multiplicité des
usages du mot, il semble recouvrir des thèmes proches du « bien
gouverner ». Chez la plupart de ceux qui, dans le secteur public ou privé,
emploient ce mot, il désigne avant tout un mouvement de « décentrement » de la réflexion,
de la prise de décision, et de l'évaluation, avec une multiplication des lieux
et acteurs impliqués dans la décision ou la construction d'un projet.
Il renvoie à la mise en place de nouveaux modes de pilotage ou de régulation plus souples et éthiques, fondés sur un partenariat ouvert et éclairé entre différents acteurs et parties prenantes, tant aux échelles locales1 que globales et Nord-Sud.
Il renvoie à la mise en place de nouveaux modes de pilotage ou de régulation plus souples et éthiques, fondés sur un partenariat ouvert et éclairé entre différents acteurs et parties prenantes, tant aux échelles locales1 que globales et Nord-Sud.
On distingue
deux principaux types de gouvernance : la gouvernance d'entreprise pour le secteur privé et la
gouvernance politique pour la pensée politique et administrative. En
gouvernance politique, on parle de gouvernance mondiale ou globale, de gouvernance territoriale ou locale en fonction des
échelles de gouvernance abordées. La gouvernance concerne en particulier :
- la gestion publique ou collective ou collaborative
des biens
communs;
- le gouvernement d'institutions publiques,
telles que l'ONU,
l'Union européenne,
les États,
les collectivités locales,
l'Organisation
de Coopération
et Développement
Economique (OCDE),
etc. pour la moralisation des échanges, le respect des droits des citoyens,
de l'environnement
et des ressources naturelles ;
- la gestion des sociétés par actions,
quand les actionnaires
ne doivent pas être de simples apporteurs de capitaux ;
- la gestion des organismes sociaux pour le
respect des cotisants et bénéficiaires ;
- les organisations associatives (Organisations
Non
Gouvernementales,
communautés) pour le respect des membres.
Ce terme, dérivé
de gouverner, est issu du latin « gubernare », qui est
emprunté au grec « kubernâo », verbe qu'on retrouve dans la cybernétique. « Governance » était
employé en ancien français (art ou manière de gouverner) comme
synonyme de gouvernement. Dans les sociétés occidentales régies par la démocratie libérale, la gouvernance renvoie aux
interactions entre l’État, le corps politique et la société, et donc aussi aux systèmes de lobbyisme
et de coalitions d'acteurs publics et privés. La « bonne gouvernance » vise à rendre l’action
publique plus efficace et proche du bien public et de
l'intérêt général, et donc plus légitime.
Elle est supposée rendre les sociétés plus facilement ou harmonieusement
gouvernables. Elle suppose donc aussi un système qui ne surexploite
pas ses ressources
et qui soit capable de résilience[187].
C’est une notion qui a été abondamment utilisée par les théoriciens de l’action
publique, les politologues et les sociologues depuis le Sommet de la Terre qui,
en 1992, a mis en exergue le besoin urgent d'un développement plus soutenable.
C'est donc aussi une théorie de la régulation sociale,
qui pour fonctionner doit être déclinée à toutes les échelles de gouvernement.
Ainsi on parle de gouvernance locale, de gouvernance urbaine,
de gouvernance territoriale, de gouvernance européenne,
et de gouvernance mondiale : Il n'y a donc pas un
modèle unique de gouvernance mais bien des systèmes de gouvernance. La
gouvernance comprend trois dimensions. Elle concerne l'ensemble des
règles et méthodes organisant la réflexion, la décision et le contrôle de
l'application des décisions au sein d'un corps social.
III.3.2. De la
démocratie comme facteur de la croissance économique
Les libertés politiques jouent un rôle très important
dans le progrès économique d’un peuple. Celles-ci ne sont garanties que par un
régime démocratique. Cependant, il s’avère que
beaucoup ne partagent pas l’idée d’accorder aux pays du Tiers-Monde ces
libertés politiques, car pensant qu’ils ne sont pas assez matures pour en
jouir. Cette attitude freine, à notre avis, la possibilité de l’épanouissement
de ces peuples dont les droits ne sont pas reconnus. Quels sont les arguments
qu’avancent les opposants de la démocratisation des pays du Tiers-Monde ?
En effet, le problème se pose comme suit : « À quoi bon s’intéresser aux libertés politiques et à leurs subtilités
quand le problème de l’heure consiste à faire face à des contraintes
économiques brutales ? »[188].
En d’autres termes, « faut-il
accorder la priorité au combat contre la pauvreté et la misère ou garantir les
libertés politiques et civiques, d’une utilité très discutable pour les gens ? »[189].
Ensuite, « cette question et toutes
les positions qui en découlent et qui reflètent un scepticisme partagé quant à
l’urgence des libertés politiques et des droits civiques a occupé une large
place lors de la conférence de Vienne sur les droits de l’homme, au printemps
1993. Les délégués de plusieurs pays ont
alors pris position contre la démocratisation en particulier dans le
Tiers-Monde. Ils défendaient l’idée de la priorité des ‘’droits civiques’’,
liés aux besoins matériels essentiels »[190].
Amartya Sen nous présente les trois objections essentielles contre cette
démocratisation et l’idée d’introduction des libertés élémentaires dans le
Tiers-Monde. Ces argument prônent la prééminence des ‘’droits économiques’’. La première
objection porte sur le fait que les droits et les libertés, s’ils sont reconnus
à ces Etats, entraveraient la croissance économique et le développement de
ceux-ci. La deuxième suppose que les populations pauvres, si elles avaient le
choix, opteraient invariablement pour la satisfaction des besoins économiques
contre les libertés politiques. La dernière objection stipulant que l’accent
mis sur les libertés politiques et la démocratie refléterait une conception
spécifiquement occidentale qui entrerait en conflit avec d’autres valeurs qui
donnent la prééminence aux notions de l’ordre et de discipline.[191]
Amartya Sen ne partage pas ces idées. Il soutient, par contre, que la
conceptualisation des besoins économiques dépend, avant tout, d’un débat public
et ouvert, que seul le respect des libertés politiques et des droits civiques
peut garantir. Les libertés politiques et la démocratie priment, d’après lui,
sur les droits économiques. C’est la pression des besoins économiques qui
renforce la validité et l’urgence des libertés politiques.[192]
Trois considérations légitiment la prééminence des droits et libertés
politiques. Il s’agit de:
·
leur
importance directe pour la vie humaine, en relation avec les capacités
élémentaires telles que la capacité de participation sociale et
politique ;
·
leur fonction
instrumentale et la façon dont elles permettent la prise en compte, au niveau
politique, des souhaits et des revendications exprimées par la population (y
compris des revendications liées aux besoins économiques) ;
·
leur rôle
constructif dans la définition des besoins économiques (y compris la définition
des besoins économiques dans un contexte social donné).[193]
Une question ressort de ces trois considérations.
C’est celle de savoir en quoi la démocratie favorise la croissance économique.
Dans son approche par les « capabilités » Amartya Sen insiste sur
l’idée que l’autoritarisme ne peut pas favoriser un progrès économique voire
l’épanouissement de tout l’homme. Seule la démocratie garantit la performance
économique. Cette dernière dépend des libertés politiques assurées par une
gouvernance démocratique. En effet, l’ouverture à la concurrence et au marché
mondial, la généralisation d’un haut niveau d’éducation, une réforme foncière
menée à terme et un soutien public aux investissements, l’orientation vers
l’industrialisation et les exportations, caractérisent un gouvernement
démocratique. Ils favorisent ainsi le progrès économique et ne peuvent se
retrouver que dans un régime démocratique.
En outre, « lorsqu’on
se livre à une estimation du développement, on ne saurait cantonner l’examen à
la progression du PIB ou à d’autres indicateurs généraux de l’expansion
économique. Il est indispensable de considérer l’impact de la démocratie et des
libertés publiques sur la vie et les capacités des individus, en tenant compte,
en particulier, des relations entre l’existence des droits civiques et
politiques, d’un côté, et la prévention des catastrophes (telles que les
famines), de l’autre[194].
Autrement dit seul l’examen de la croissance du Produit Intérieur Brut
(PIB) et d’autres indicateurs généraux
de l’expansion économique ne suffit pas pour déterminer le niveau du
développement. Une telle approche ne prend pas en considération le processus
conduisant au résultat obtenu. Selon l’auteur, « L’obtention des droits civiques donne aux citoyens la possibilité
d’attirer l’attention sur leurs besoins élémentaires et d’exercer des pressions
en faveur d’une action publique adéquate ».[195]
C’est cette pression qui pousse les gouvernements à donner une réaction aux
situations de détresse que les citoyens endurent. D’où l’importance de
l’existence effective des droits d’expression, de vote et de manifestation,
caractéristiques d’un gouvernement démocratique.[196]
Par ailleurs,
les libertés politiques jouent deux rôles : l’un instrumental,
l’autre constructif. Chercher à montrer l’importance instrumentale des libertés
politiques revient à répondre à la question de savoir ce qu’est la valeur
positive des droits démocratiques. L’importance des libertés politiques et leur
prééminence aux droits économiques se justifient par trois raisons. La première
raison stipule que les libertés d’expression et d’action ont une grande valeur
étant donné qu’il est légitime pour des personnes, créatures sociales, de
souhaiter voir reconnue leur libre participation aux activités sociales et
politiques. La deuxième soutient que la formation des valeurs exige un
processus de communication ouverte et de libre discussion, qui ne saurait
exister sans reconnaissance des libertés politiques et droits civiques. La
dernière raison affirme que le fait d’exprimer publiquement les valeurs que les
gens privilégient et d’obtenir l’attention nécessaire implique l’existence de
la liberté de parole et du choix démocratique.[197]
Le rôle instrumental des droits civiques et des libertés politiques se trouve
également dans la relation entre besoins économiques et libertés politiques.
Celles-ci jouent un rôle constructif dans la croissance économique. A en croire
l’auteur, « Si l’exercice des droits
démocratiques élémentaires facilite une réaction politique à l’expression
politique des besoins économiques, il intervient aussi dans la
conceptualisation, qui inclut la compréhension, des ‘’besoins économiques’’ »[198].
D’où la discussion et l’échange se trouvent être des principes qui fondent la
définition des besoins économiques, leur contenu et leur force. Le processus
d’élaboration des choix sociaux informés dépendent de la qualité et de l’exercice
des droits civiques et politiques par les membres de la société. Aussi en
est-il de la définition des valeurs et des priorités. Les droits civiques et
les libertés politiques garantissent donc la discussion ouverte, la
contradiction, la critique et les divergences d’opinion. S’il en est ainsi,
toute préférence ne doit être considérée comme valide que si elle a été l’objet
d’une discussion ouverte et des échanges de vues autorisés et menés à terme.[199] Bref, « les droits politiques, y compris la liberté d’expression et le libre
débat, ne sont pas seulement primordiaux dans la formulation des réponses
sociales aux besoins économiques, ils sont aussi cruciaux dans la façon de concevoir
les besoins économiques eux-mêmes »[200].
Remarquons que la démocratie, d’après l’approche par
les « capabilités » s’avère indispensable pour une croissance
économique par ses trois aspects qui sont sa légitimité intrinsèque, son rôle
de protection et sa fonction constructive. En développement, les droits
démocratiques constituent, pour Amartya Sen, des avantages potentiels dont
l’efficacité dépend de la qualité de l’exercice que les membres d’un Etat en
font. Nous ne devons pas confondre la démocratie à une quinine qui traite la
malaria par une simple injection. La démocratie ne soigne pas les maux de cette
manière. Les gens doivent s’emparer des possibilités existantes s’ils veulent
atteindre l’effet recherché. C’est la règle élémentaire : la qualité d’une liberté dépend de la façon dont
elle est exercée. C’est pourquoi, nous sommes d’accord avec l’auteur lorsqu’il
pense que le succès de la démocratie n’est pas seulement affaire des règles et
de procédures. Il dépend aussi de la manière dont les citoyens mettent à profit
des opportunités existantes[201].
CONCLUSION GÉNÉRALE
Au
terme de ce travail, remarquons qu’avec le phénomène de mondialisation le monde
est caractérisé par un progrès sans précédent dans la sphère économique ainsi
que dans tous les domaines. A titre d’illustration, le monde a connu au cours
du XXe siècle, un modèle dominant d’organisation politique caractérisé par la
gestion démocratique et la participation publique. Les concepts des droits de
l’homme et celui de la liberté politique ont été largement acceptés.
L’espérance de vie a été prolongée telle qu’elle ne l’a jamais été. Les
relations plus étroites entre différentes régions du monde ont été améliorées
aujourd’hui plus qu’à aucun moment de l’Histoire. Nous assistons à une facilité
et rapidité dans la circulation des idées, des services et des marchandises.
Cependant,
nul n’a besoin de constater le fait que le monde postmoderne[202]
connaît un niveau incroyable élevé de privations en tous genres, de misère et
d’oppression. Aux anciens fléaux viennent s’ajouter des problèmes inédits, tels que la persistance de
la pauvreté, les besoins élémentaires non satisfaits, les famines soudaines, la
malnutrition endémique, la violation des libertés politiques élémentaires, le non-respect
des droits des femmes ou de leur rôle, ainsi que la détérioration de
l’environnement et les interrogations sur la viabilité à long terme de notre
modèle économique et social.[203] Ce
sont ces différents problèmes et l’attention accordée plus aux dimensions
économiques, politiques, environnementales au détriment de l’aspect humain, qui
nous ont motivé à mener une réflexion sur le type de développement que le
phénomène de la mondialisation impose au monde par l’entremise de grandes
puissances.
Trois
questions nous ont servi de fil conducteur dans cette entreprise scientifique.
La première était celle de savoir si la croissance économique poursuivie par
les philosophes libéraux et soutenue par les théoriciens de l’économie de
marché favorisait en réalité l’épanouissement de l’homme. L’analyse du
phénomène de la mondialisation révèle que, nonobstant les avancées économiques,
scientifiques et technologiques que connaît le monde aujourd’hui, la qualité de
vie humaine, en termes d’épanouissement, s’en trouve déséquilibrée. Au fait, la
paupérisation cauchemardesque que connaissent les pays dits en voie de
développement prouve à suffisance les limites flagrantes de cette
internationalisation économique. La deuxième cherchait à examiner les enjeux
économiques, politiques et socio-environnementaux du phénomène de la
mondialisation. La dernière question portait sur l’établissement des conditions
de possibilité de l’amélioration de la qualité de vie de l’homme. En effet, aux
capacités et aptitudes innées s’ajoutent
une bonne éducation et une bonne santé, grâce auxquelles les gens pourront
s’approprier les valeurs démocratiques et par conséquent, mener librement un
style de vie qu’ils auront rationnement souhaité. Un bon système éducatif et de
bonnes conditions sanitaires dotent les personnes de capacités de convertir
leurs revenus en finalités, c’est-à-dire en mieux-être.
Notre
entreprise scientifique s’est articulée autour de trois chapitres qui ont
soutenu nos hypothèses. Le premier chapitre a porté sur l’analyse du phénomène
de la mondialisation. Il a constitué un préalable à tout le reste de notre
recherche scientifique. A travers ce chapitre nous avons tenté de répondre à la
préoccupation de savoir si la croissance économique favorise réellement l’épanouissement de la personne humaine.
Après analyse de ses enjeux sociaux, politiques, économiques et environnementaux,
nous avons abouti au constat que cette globalisation impose un mode de vie,
mieux un type de développement qui, à long terme, constitue un danger à
l’épanouissement de l’homme. Parmi les conséquences flagrantes de la
mondialisation nous avons retenu, entre autres, la polarisation du monde entre
les pays pauvres et les pays riches. D’un côté, les riches s’enrichissent
davantage, de l’autre côté, les pauvres deviennent de plus en plus pauvres.
D’où l’urgence d’une nouvelle approche qui prend en compte toutes les
dimensions de la vie de l’homme et qui favorisent l’amélioration de la qualité
de sa vie.
L’approche
par les « capabilités » d’Amartya Sen se veut une nouvelle approche
du développement capable de surmonter des handicaps dont le processus de
globalisation est auteur. C’est cette approche qui a constitué le socle du
deuxième chapitre. Par développement, Amartya Sen n’entend pas seulement une
croissance économique mais surtout le fait de surmonter toutes les formes de
non-libertés qui restreignent le choix des gens et réduisent leurs possibilités
d’agir. La suppression de non-libertés (que nous avons appelé facteurs du
sous-développement) est une tâche centrale du développement. Cette nouvelle
approche met l’accent sur la liberté comme moyen et fin du développement. En
d’autres mots, le développement va de pair avec la liberté. Il ne s’agit pas
ici de la liberté entendue comme absence de contraintes mais de la liberté en
vue du mieux-être humain. Dans ce chapitre nous avons essayé de répondre à la
préoccupation de l’établissement des conditions de possibilité de
l’amélioration de la qualité de vie de l’homme. Amarya Sen, à travers son
l’approche de « capabilités », nous a servi de référence. Il met
l’accent sur la liberté qu’ont les personnes de mener une vie qu’elles ont
raison de souhaiter. Ainsi soutient-il l’idée que pour surmonter les multiples
privations, l’action des individus est indispensable.
Cependant,
il ne faudrait pas perdre de vue que cette liberté d’action doit être
nécessairement déterminée et contrainte par les possibilités sociales,
politiques et économiques qui s’offrent aux personnes. Il existe donc une
complémentarité entre action individuelle et structures sociales. La liberté
individuelle est un engagement social. C’est la société qui donne corps à la
liberté. Par conséquent, pour garantir à tous ses membres cette liberté, la
société a l’obligation d’assurer l’éducation de base à tous et de garantir de
bonnes conditions sanitaires à travers ses structures de santé. La santé et
l’éducation constituent pour le philosophe et économiste indien des libertés
substantielles. A ces dernières s’ajoutent les libertés instrumentales qui sont
en interconnexion. Ce sont les opportunités économiques, les libertés
politiques, les dispositions sociales, les garanties de transparence et la
sécurité protectrice. En outre, l’approche par les « capabilités »
évalue la configuration de la société et les institutions qui y participent
(notamment l’Etat, la marché, le système juridique, les partis politiques, les
médias, les groupes d’intérêts, les forums de discussion publique, etc.) par
leur contribution au renforcement des libertés substantielles des individus.
Cette perspective définit les personnes comme des acteurs du changement et non
comme des destinataires passifs d’avantages octroyés par telle ou telle
structure.
Le
troisième chapitre s’est focalisé sur l’examen de la possibilité d’une éthique
de l’économie, étant donné le rôle instrumental que joue l’économie dans
l’épanouissement de l’homme. Loin de nous l’ambition de proposer un code de
conduite dans les affaires, mais d’examiner la validité des principes régissant
le mécanisme du marché. L’Optimum de Pareto, par exemple, est un principe selon
lequel personne ne peut voir sa situation améliorée sans que celle d’un autre
soit dégradée. Un tel principe se trouve corrigé par l’approche par les « capabilités ».
Celle-ci soutient l’idée selon laquelle ce qui importe ce n’est pas le résultat
mais le fait de voir si les personnes ont eu les possibilités nécessaires de
mener telle ou telle autre action. Ainsi, les libertés substantielles doivent être
garanties à tous. Ce qu’on en fera dépendra des caractéristiques de chacun. Le
mécanisme de marché, les critères d’évaluation de l’efficacité du marché ainsi
que le fléau de la corruption ont arrêté notre attention. Ainsi, un marché ne sera jugé efficace que
dans la mesure où il garantit et concoure à l’expansion des libertés
substantielles de ses acteurs.
Pour
arriver à tous ces résultats qui confirment nos hypothèses, il a fallu user de
l’analyse et de la critique comme voies d’approche de notre sujet.
Par
ailleurs, l’attention réservée à cette nouvelle science, l’éthique économique, est née du constat du rétrécissement de
l’économie par l’esprit capitaliste. En effet, l’égoïsme capitaliste a fait
éloigner l’éthique de la science économique. Cet éloignement a créé dans le
monde économique deux problèmes majeurs. D’un côté, il a provoqué l’inégalité.
Il s’agit de l‘existence d’une extrême pauvreté dans le contexte d’une
prospérité sans précédent. De l’autre côté, la mauvaise gestion des
« biens communs ». Par ‘’biens communs’’ il faut entendre de biens
partagés par tous, tels que l’environnement. La tentative de répondre à cette
dernière question a conduit à la réflexion sur le développement durable.
Les
problèmes que pose le marché dépendent du type de régime politique. Le
politique et l’économique s’inter influencent. L’approche par les
« capabilités » accorde de l’importance à la démocratie. Un régime
démocratique est idéal pour l’épanouissement de l’homme puisqu’il réunit en son
sein les conditions nécessaires de garantir les libertés de base pour tous.
Aussi, ouvre-t-il un large espace à la participation et au débat public.
L’objet
de notre recherche a été le développement humain. A quoi sert-il ? Amartya
Sen, à travers son approche par les « capabiltés », souligne
l’importance du développement humain. Pour lui, la création des opportunités
sociales contribue à l’expansion des capacités et de la qualité de vie. Ainsi
le développement de la santé publique, de l’éducation, de la protection sociale,
etc., contribuent directement à la qualité et à l’épanouissement de la vie
humaine. L’auteur pense qu’un pays qui garantit les soins et l’éducation à tous
est capable d’atteindre des résultats remarquables en termes d’espérance et de
qualité de vie pour l’ensemble de sa population, même à bas revenu. Selon lui,
la santé et l’éducation publiques reposant, pour l’essentiel sur le travail
humain, sont relativement peu couteux en phase initiale de développement
économique, lorsque la main d’œuvre est bon marché.
Le
développement humain ne s’arrête pas seulement à l’amélioration directe de la
qualité de vie. Il favorise également les facultés productives des personnes et
donc la croissance économique partagée. A titre d’illustration, savoir lire et
compter facilite la participation au processus d’expansion économique. En
outre, pour s’insérer dans les échanges mondiaux, il s’avère crucial, d’après
l’auteur, de pouvoir se plier à des normes telles que le ‘’contrôle de
qualité’’[204]
que la main-d’œuvre analphabète maîtrise mal.
Tout
montre, par ailleurs, que l’amélioration de la santé et de l’alimentation
favorisent la productivité et les rémunérations de la main-d’œuvre salariée.
Aussi, existe-t-il des rapports entre scolarisation et baisse du taux de
fertilité. Car, d’après Amartya Sen, lorsque le taux de fertilité est élevé, il
constitue un obstacle à la qualité de vie, particulièrement celle des jeunes
femmes, les grossesses fréquentes et les soins aux enfants portant préjudice au
bien-être et à la liberté des jeunes mères. Pour ce faire, il pense que la
responsabilisation des femmes apparaît comme un moyen efficace pour réduire le
taux de fertilité. Elle sera rendue possible par le travail des femmes à
l’extérieur du foyer, l’accès à l’éducation, la participation à la gestion de
la chose publique, etc. Ces multiples responsabilités donneront aux jeunes
femmes toutes raisons de limiter les naissances et disposeront ainsi d’une
influence plus grande sur les décisions familiales.
Tout
compte fait, nous sommes reconnaissant du fait que la réalisation de ce travail
a connu des hauts et des bas. Etant une œuvre humaine, nos lecteurs voudront
bien excuser les lacunes d’ordre méthodologique. Loin de nous contenter de la
loi du moindre effort, nous ne pouvons également pas prétendre avoir tout dit,
ou du moins, avoir épuisé la complexité de notre sujet ni tous les détails
développés par Amartya Sen dans son approche par les « capabilités ».
Parler
du développement entendu comme liberté dans le monde actuel, non seulement
partagé entre riches et pauvres d’un côté, mais aussi et surtout, divisé entre,
d’un côté, ceux qu’inquiètent les ravages du capitalisme global et de l’autre
côté, ceux qu’effraie la terreur que font régner les Etats qui bafouent la
liberté individuelle et l’initiative privée, ne va pas sans difficulté état
donné la diversité dans la conception du développement. Conscient de cela, nous
y avons été attentif. C’est pourquoi nous pouvons affirmer avec Kofi Annan que notre qualité de vie ne se mesure pas à
notre richesse, mais à notre liberté !
BIBLIOGRAPHIE
Livres
de l’auteur
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(Décembre 2010, mis en ligne le 07 décembre 2010.
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Webographie
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v CHISHUGI
A.C. Cours de Philosophie Ethique, G1
droit, Université Officielle de Bukavu, 2013-2014, inédit.
v MUSHIGI
G., Cours de Mondialisation I, L1
Philosophie, Université Officielle de Bukavu, 2012-2013, inédit.
TABLE
DE MATIÈRES
ÉPIGAPHES …………………………………………………………………………….I
DÉDICACE……………………………………………………………………………..II
REMERCIEMENTS.…………………………………………………………………..III
RÉSUMÉ/
ABSTRACT………………………………………………………..……….IV
PLAN
DU TRAVAIL………………………………………………………………..…..V
PREMIER
CHAPITRE : DU PHÉNOMÈNE DE LA MONDIALISATION……….9
I.1. Définition et historique de la
mondialisation………………………………………...10
I.1.1.
Définition…………………………………………………………………………..11
I.1.2. Histoire de la
mondialisation……………………………………………………….11
I.1.2.1. La première phase couvre la
période de 1849-1914……………………………..14
I.1.2.2.
Une deuxième phase s’ouvre avec la résistance des Etats et couvre la
période de
1914-1989………………………………………………………………………………...15
I.1.3.
Une troisième phase : la mondialisation contemporaine…………………………...16
I.2.
Facteurs et acteurs de la mondialisation……………………………………………...17
I.2.1.
Facteurs de la mondialisation………………………………………………………17
I.2.2.
Acteurs de la mondialisation……………………………………………………….18
I.2.2.1.
Les institutions multilatérales…………………………………………………….19
I.3.
Enjeux socio-économiques, politiques et environnementaux de la mondialisation….22
I.3.1.
Enjeux socio-économiques…………………………………………………………22
I.3.1.1.
Enjeux sociaux……………………………………………………………………23
I.31.2.
Enjeux économiques ……………………………………………………………...24
I.3.2.
Enjeux politiques…………………………………………………………………...26
I.3.3.
Enjeux environnementaux………………………………………………………….27
DEUXIÈME CHAPITRE : DE L’ « APPROCHE PAR LES CAPABILITÉ S»……………………………………………………………………….37
II.1.
Des facteurs du sous-développement……………………………………………….37
II.1.1.
Facteurs lointains………………………………………………………………….39
II.1.2.
Facteurs internes…………………………………………………………………..41
II.1.2.1.
La mauvaise gouvernance……………………………………………………….41
II.1.2.2.
La corruption…………………………………………………………………….43
II.1.2.3.
L’atrophie du système judiciaire………………………………………………...44
II.1.2.4.
Les politiques économiques……………………………………………………..45
II.1.3.
Facteurs culturels………………………………………………………………….46
II.2.
Du ‘’développement comme liberté’’……………………………………………….50
II.2.1.
De la liberté comme fin et moyen du développement…………………………….51
II.2.1.1.
Distinction entre liberté négative et liberté positive…………………………….52
II.2.2.
Rôles de la liberté dans le processus du développement………………………….53
II.2.2.1.
Rôle constitutif de la liberté……………………………………………………..54
II.2.2.2.
Rôle instrumental de la liberté…………………………………………………..54
II.3.
De l’évaluation du bien-être…………………………………………………………57
II.3.1.
Approche utilitariste……………………………………………………………….58
II.3.2.
Approche par les « biens premiers »………………………………………………61
II.3.3.
Approche par les « capabilités »…………………………………………………..65
II.3.3.1.
Du concept « capabilité »………………………………………………………..65
II.3.3.2.
Fonctionnement et caractéristique……………………………………………….68
II.3.3.3.
De la « liberté comme engagement »……………………………………………70
TROISIÈME
CHAPITRE : VERS UNE ÉTHIQUE ÉCONOMIQUE PAR LES ‘’CAPABILITÉS’’………………..…………………………………………………….74
III.1.
De l’éthique de l’économie…………………………………………………………75
III.1.1.
L’origine de l’économie………………………………………………………….75
III.1.2.
Débat actuel sur l’éthique économique…………………………………………..77
III.1.3.
Du mécanisme de marché………………………………………………………...78
III.1.3.1.
Rôle du mécanisme de marché…………………………………………………79
III.1.3.2.
Limites du mécanisme de marché……………………………………………... 83
III.1.4.
Critères d’évaluation de l’efficacité………………………………………………85
III.1.4.1.
Optimum de Pareto……………………………………………………………..85
III.1.4.2.
Le Maximin……………………………………………………………………..89
III.2.
Rapport entre économie, éthique et morale………………………………………...90
III.2.1.
Définition de l’économie…………………………………………………………91
III.2.2.
Définition de l’éthique…………………………………………………………...94
III.2.3.
Rapport entre éthique, morale et économie………………………………………95
III.2.4.
Corruption, grand défi de l’économie…………………………………………….97
III.3.
Rapport entre gouvernance démocratique et croissance économique……………..98
III.3.1.
L’idée de la gouvernance démocratique…………………………………………98
III.3.2.
De la démocratie comme facteur de la croissance économique………………..100
CONCLUSION
GÉNÉRALE…………………………..…………………………….105
BIBLIOGRAPHIE………………………………………………………………..……111
TABLE
DES MATIÈRES……………………………………………………………..114
[1]
Le Produit Intérieur Brut
est l’un des agrégats majeurs des comptes nationaux. Sa dénomination anglaise
est le GDP, pour Gross Domestic Product. En tant qu'indicateur économique
principal de mesure de la production économique réalisée à l’intérieur d'un
pays donné, Le PIB vise à quantifier — pour un pays et une année donnés — la
valeur totale de la « production de richesse » effectuée par les agents économiques
résidents à l’intérieur de ce territoire. Le PIB reflète donc l’activité
économique interne d’un pays et la variation du PIB d’une période à l'autre est
censée mesurer son taux de croissance économique. Le PIB par habitant mesure le
niveau de vie et, de façon approximative, celui du pouvoir d'achat car n’est
pas prise en compte de façon dynamique l’incidence de l’évolution du niveau
général des prix. Voir fr.wikipedia.org ,
consulté le 20-07-2014, à 10hoo.
[2] En économie, le Produit National
Brut correspond à la production annuelle de richesses créées par un pays, que
cette production se déroule sur le sol national ou à l'étranger. Voir Ibidem.
[3]
L'Indice de Développement
Humain est un indice statistique composite, créé par le Programme des Nations
unies pour le développement en 1990 pour évaluer le niveau de développement
humain des pays du monde. L'IDH se fonde sur trois critères majeurs:
l'espérance de vie à la naissance, le niveau d'éducation, et le niveau de vie.
Voir Ibidem.
[4] http://unesdoc.unesco.org/images/0013/001323/132374f.pdf,
consulté le 14-07-2014, à 13h30.
[5] Cf. S. Callens,
« Joseph Stieglitz, Amartya Sen, Jean-Paul Fitoussi, 2009, Richesse des nations et bien-être des
individus, préface de Nicolas Sarkozy, Paris : Odile Jacob,
326p. », Développement durable et territoires[En ligne], vol.1, n°3
(Décembre 2010, mis en ligne le 07 décembre 2010. URL : http://developpementdurable.revues.org/8712.
[6] Cf. G. BERNARD, Mondialisation. Une seule planète, des projets divergents, Petite encyclopédie
LAROUSSE, Paris, 2009, p.7.
[8] La Commission Bruntland. (voirhttp://www.are.admin.ch/themen/nachhaltig/00266/00540/00542/index.html?lang=en
, consulté le 13-02-2014, à 8h24).
[10] « Humaniser la
mondialisation » est un programme interdisciplinaire de l’UNESCO qui
s’inscrit dans sa stratégie à moyen terme pour 2002-2007. Dr. Ninou Garabaghi
(Responsable du Programme Interdisciplinaire Ethique de l’économie à l’UNESCO),
dans sa présentation du travail de Patrice MEYER-BISCH(Philosophe et
coordonateur de l’Institut interdisciplinaire d’éthique et des droits de
l’homme à l’Université de Fribourg) intitulé : « L’éthique
économique : une contrainte méthodique et une condition d’effectivité des
droits humains », définit l’objet de ce thème comme celui de soutenir et
de susciter les initiatives qui tendent à la définition, la promotion et la
diffusion dans la vie économique des valeurs susceptibles de contribuer à
l’humanisation de la mondialisation. Selon le même auteur, le concept
d’ « économie éthique », fondé dans le cadre du paradigme du
« développement humain, durable et partagé », se présente aujourd’hui
avec pour objet la définition, la promotion et la diffusion dans la vie
économique de règles du jeu, de principes et de normes éthiques universellement
acceptables susceptibles de favoriser à moyen terme la réconciliation de
l’économique, du social, de l’écologique et du culturel et à plus long terme
d’assurer leur codétermination dans le processus de mondialisation en cours.
(voir http://unesdoc.unesco.org/images/0013/001323/132374f.pdf
, consulté le 17-03-2014, à 11h20).
[13] Cf. G. MUSHIZI,
Cours de Mondialisation I, L1
Philosophie,Université Officielle de Bukavu, 2012-2013, inédit.
[14] Rapport du module Environnement :
Mondialisation, par YOUNESS E., e.a. Ecole Nationale Supérieure des Mines
St. Etienne, Décembre 2003-Avril 2004, p.3. PDF.
[15] B.GUILLOCHON, La mondialisation. Une seule planète, des
projets divergents, Petit Encyclopédie LAROUSSE, Paris, Septembre 2009,
p.7.
[20] Keynésianisme : c’est
l‘ensemble des théories de l’économiste J.M. Keynes. Cf. Le
petit Larousse illustre grand format, Larousse, Paris, 2008, p.569. En effet, le keynésianisme est une
école de pensée économique fondée par l'économiste britannique John Maynard
Keynes. Pour les keynésiens, les marchés laissés à eux-mêmes ne conduisent pas
forcément à l'optimum économique. En outre, l'État a un rôle à jouer dans le
domaine économique notamment dans le cadre de politique de relance. Toutefois,
l'importance de ce rôle varie avec les courants keynésiens et avec les
traditions étatiques des différents pays. Les courants dominants actuels sont
la synthèse néo-classique nommée aussi néo keynésianisme et la nouvelle
économie keynésienne. L'influence du post-keynésianisme est plus limitée mais
non négligeable dans certains pays, notamment en France. Cette école se place
en opposition radicale aux principaux courants actuels et veut conserver les
aspects les plus contestataires et hétérodoxes du keynésianisme. Cf. fr.wikipedia.org ,
consulté le 20-07-2014, à 10h02.
[21] Cf. « De la mondialisation
à l’universalisation : une ambition sociale », Mission présidée par
Christine Boutin, Rapport intermédiaire au Président de la République, Décembre
2010.
Voire également, E. K. YOUNESS,
e.a., « Rapport du module environnement : Mondialisation », Ecole Nationale Supérieure des Mines Saint
Etienne, Décembre 2003-Avril 2004, pp.4-6.
[22]
La liste comprend 13 autres pays dont l’Allemagne (7,3 millions), l’Ukraine
(6,9 millions), la France(6,3 millions), l’Inde(6,3 millions), le Canada(5,8
millions), l’Arabie saoudite(5,3 millions), l’Australie(4,7 millions), le
Pakistan(4,2 millions), le Royaume Uni(4 millions), le Kazakhstan(3 millions),
la Côte d’Ivoire(2,3 millions), l’Iran(2,3 millions) et l’Israël(2,3 millions) .
(Cf. « Rapport sur le module environnement : Mondialisation »,
p.7.
[23]
On parle de délocalisation d’une entreprise lorsque celle-ci ferme une usine et
la transfère dans un pays étranger. Cette entreprise à l’étranger s’appelle
« Investissements Directs Etrangers (IDE). Généralement cette
délocalisation est motivée par différentes raisons notamment une impossibilité de produire des
quantités suffisantes dans le pays d’origine par carence de ressources
naturelles, une impossibilité de vendre suffisamment dans le pays de
destination pour diverses raisons, la possibilité de mieux satisfaire la demande
dans le pays d’implantation, la possibilité de bénéficier d’avantages
comparatifs macro-économiques dans les pays d’implantation, tel que le bas
salaire.(Cf. « Rapport sur le module environnement :
Mondialisation », p.16.)
[24]
B. GUILLOCHON, op.cit., pp.116-119.
[25] A. SEN, Un nouveau modèle économique. Développement,
justice, liberté, traduit de l’anglais par Michel Bessières,
Odile-Jacob-Poches, Paris, Février 2003, p.316.
[40]
A. SEN,
« Les dix vérités sur la mondialisation »,
in Le Monde, Paris, 18-07-2001. Vu la
richesse du contenu, nous avons préféré reprendre ce texte mot à mot car il
balise la suite de notre réflexion. C’eût été dommageable de le résumer.
[41] C. BASHIGE,
« La religion, frein ou facteur de développement » in Recherches Africaines. L’Afrique et son vécu,
n°34, CERDAF, Bukavu, Septembre 2013, p.238.
[43] A. SEN, Un nouveau modèle économique, Développement,
justice, liberté, traduit de l’anglais par Michel Bessières, Odile-Jacob-Poches,
Paris, Février 2003, p.15.
[50] Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Freins_au_d%C3%A9veloppement,
consulté le 19 mars 2014, à 12h30.
[54] « Transparency International » est une organisation non gouvernementale internationale
d'origine allemande ayant pour principale vocation la lutte contre la
corruption des gouvernements et institutions gouvernementales mondiaux. Elle a
été fondée par Peter Eigen en 1993 et a
aujourd'hui un rayonnement international, possédant des sections autonomes dans
80 pays du Nord comme du Sud.
Elle rejette ainsi toute supériorité des premiers sur les seconds dans la lutte
contre la corruption et déplore souvent la baisse dans le classement de
certains pays développés, notamment au sein de l'Union européenne. Il est surtout connu pour publier
régulièrement des indices mondiaux sur la corruption : classement des
États, taux de corruption par pays ou encore régularité des échanges internationaux. Elle se place également en
observateur du fonctionnement démocratique des institutions nationales en
émettant des avis sur les actions gouvernementales. C'est le cas par exemple en
2009 vis-à-vis de
l'intention de Nicolas Sarkozy de supprimer le poste de juge d'instruction, qu'elle considère comme un risque
majeur. Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Transparency_International, consulté le samedi 3 Mai 2014,à 16h00.
[61] Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Freins_au_d%C3%A9veloppement,
consulté le 19 mars 2014, à 12h30.
[70] A. BERTIN,
« L’approche par les capabilités d’Amartya Sen, une voie nouvelle pour le
socialisme libéral », in Cahier du
GETHA, n°2008-9, p.7.
[71] V. REBOUD,
« Amartya Sen : un économiste du développement ? », in Agence Française de Développement.
Département de la Recherche, p.33.
[93] A. SEN, Ethique et économie et autres essais, traduit par Sophie Marnat PUF, Paris, 1993,
p.272.
[103] J. RAWLS, La justice comme équité. Une reformulation de Théorie de la Justice,
trad. Franc. P. Guillarme, La Découverte, Paris, 2004, p.90.
[105] V. REBOUD,
« Si la définition du niveau de vie avait des présupposés éthiques »
in Amartya Sen : un économiste du
développement, AFD, 2008, p.38.
[113] A.BERTIN,
« Glossaire des termes utilisés dans l’approche par les
capabilités », in D’un développement
viable à une liberté durable 6-10 Septembre 2003, Université de Pavie,
Italie, PDF.
[123] A. SEN, Ethique et économie, et autres essais,
trad. de l’Anglais par Sophie Marnat, QUADRIGE/PUF, Paris, 1993, p.6.
[133] Cf. P.
MEYER-BISCH, « L’éthique économique : une contrainte méthodologique
et une condition d’effectivité des droits humains », PDF.
[160] http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_de_march%C3%A9, consulté
ce mardi 24-06-2014, à 14h50.
[167] http://www.oboulo.com/economie-et-marches/theories-economiques/fiche/maximin-selon-john-rawls-17875.html,
consulté ce mardi 24-06-2014, à 15h00.
[170] Cf. http://www.oboulo.com/economie-et-marches/theories-economiques/fiche/maximin-selon-john-rawls-17875.html,
consulté ce mardi 24-06-2014, à 15h00.
[171] Cf.
A.C.CHISHUGI, Cours de Philosophie
Ethique, G1 Droit, Université Officielle de Bukavu, 2013-2014, inédit.
[172] Toute cette analyse et la suite
de ce sous-point s’inspirent de http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie, consulté
ce mercredi 1806 2014, à 17h04.
[174] Nous puisons dans : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89thique, consulté ce
mercredi 18/06/2014, à 17h20.
[175]http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89thique, consulté
ce mercredi 18/06/2014, à 17h20.
[176] M.
CANTO-SPERBER, Dictionnaire d’éthique et
de Philosophie morale, vol.1, 4è éd., QUADRIGE/PUF, Paris,1996, p.591.
[186] http://fr.wikipedia.org/wiki/Gouvernance, consulté ce
18- 06- 2014, 18h00.
[187] La résilience
est la capacité de quelque chose de revenir à sa forme initiale après avoir été
tiré, tendu, pressés, cintrés, etc. URL : http://www.merriam-webster.com/dictionary/resilience, consulté ce lundi 14-07-2014, à
9h17.
[202] Nous pensons que
le monde est déjà dans une nouvelle ère qu’on pourrait qualifier de
Postmodernité. L’Epoque Contemporaine aurait pris fin vers les années 90,
période où l’on assiste aux mouvements de démocratisation qui ont suivi la
chute du mur de Berlin, d’une part, et du développement rapide de la
technologie de pointe (internet, téléphone, etc.), une période de
programmation, caractéristique de l’ère de l’intelligence artificielle, d’autre
part.
[204] Le contrôle
qualité est un aspect de la gestion de la qualité. Le contrôle est une opération
destinée à déterminer, avec des moyens appropriés, si le produit (y compris,
services, documents, code source) contrôlé est conforme ou non à ses
spécifications ou exigences préétablies et incluant une décision d'acceptation,
de rejet ou de retouche. (Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Contr%C3%B4le_qualit%C3%A9,
consulté ce 08-07-2014 à 08H08.
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